Chapitre 2 - La langue et la raison

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2 novembre 1565 - Beauxbâtons

Ce qui marque le plus ce jour n'est pas la tristesse des regards fuyants, ni les larmes essuyées quand le souvenir de celui qui fut se ravive par tradition, mais bien la solitude et l'incompréhension.

Aria était depuis deux mois à l'école de Beauxbâtons, mais ce n'est que ce jour que la douleur et la peine décidèrent de répandre en elle ce mal sourd qui la rongeait depuis son arrivée.

Le dicton le dit, à chaque jour suffit sa peine, mais celle que cette enfant du pays au soleil d'or ressentait faisait d'elle la marionnette des affres de ce que ressentent ceux qui ne peuvent communiquer dans la langue de naissance.

Aria, jours après jours, suivait ses leçons, pratiquait le français, étudiait en traduisant chaque livre aussi bien qu'elle le pouvait. À chaque perte de courage ou épuisement, elle sortait la médaille que ce mage étrange lui avait offerte. Ne voulant pas passer pour la pauvre petite fille faible, comme souvent évoqué chez elle par sa mère, sa rage ainsi que son cœur réveillait sa combativité, la faisant se redresser et avancer sous les coups du destin.

Seulement, ce jour signait la fin de sa combativité, le requiem de ses espoirs, le glas de ses objectifs. Son professeur de français, monsieur Frouchave lui assena le coup fatal : le français ne saura jamais être à sa portée, peu de pratique de cette langue aux mêmes racines que la sienne et le peu d'avancée de son élève l'obligea à la répudier de son cours, ce qui par conséquence la privait de la possibilité d'étudier en ces lieux.

A l'annonce de ce fait, la jeune Aria prit la fuite de la salle de cours, son cœur était meurtri, son chagrin si fort que rien, ni même son éducation ne pouvait retenir ses larmes de profonde tristesse. Elle était seule et désemparée, rien ne pouvait l'aider, si même un professeur jetait l'éponge, alors comment pouvoir maîtriser une langue qui lui était inconnue. Cette langue qui ne lui permettait pas de s'intégrer au reste de ses camarades, qui l'isole de toute forme de vie en ces lieux. Parfois, afin de trouver un peu de familiarité dans cette académie, elle se rendait dans la salle du sondeur où elle discutait avec la voix éthérée l'ayant accueillie, elle osait parfois quelques prières en italien en espérant que le bon Dieu lui donne les réponses à ses inquiétudes.

Elle n'avait cependant jamais osé aller à la rencontre de cet homme étrange qui lors de son premier jour lui avait adressé quelques mots en italien. Elle se souvint de son ton tantôt doux et tantôt froid comme la glace. Par crainte de déranger, puisque ce sentiment lui était familier depuis sa plus tendre enfance, elle avait choisi de rester seule, cachée de tous comme elle l'avait toujours fait, afin d'échapper aux railleries des autres élèves de l'école.

Le désespoir est un poison, mais elle l'ignorait. Triste et inconsolable, elle courut vers la forêt, sans se soucier, n'y pensant pas. La réalité trompée par sa peine, elle s'enfonce au loin des arbres sombres. Le froid et les larmes eurent raison de sa vigueur, ressentant un réelle fatigue, allant à la limite de l'étourdissement, elle se retourna pour rebrousser chemin, mais l'angoisse la paralyse quand elle se rendit compte que nulle académie à l'horizon, juste des arbres sombres semblables les uns aux autres. Perdue, fatiguée, gelée, son avenir incertain, notre jeune italienne sans avoir d'idées noires, ressent au fond d'elle ce que les désacralisés de l'Église vivent avant leur jugement ultime. Elle n'avait plus la force de combattre alors doucement elle se laissait partir, se disant que au final, à qui manquerait-elle...

Est-ce des croyances mystiques, un soubresaut religieux ou simplement le dernier souvenir joyeux qu'elle connut, mais elle sortit de la poche de sa robe la médaille au corbeau d'argent. La serrant contre elle sans raison, elle sombra dans la nuit éternelle.

Ce qu'elle ignorait c'est la signification de cette médaille comme son pouvoir.

Haut dans le ciel, une ombre noire furetait dans les gris nuages. Ressentant un appel, il se dirigea vers la médaille et fut surpris à son arrivée de trouver une jeune humaine commençant à se recouvrir de neige. Il se posa sur ses jambes, mais aucune réaction de la fillette ne fut perceptible, il recommença sur son épaule, mais là non plus rien. Espérant que de picorer légèrement sa tête lui donnerait un espoir de vie, il tenta cette dernière solution, qui, fort heureusement, fut couronnée d'un succès relatif. Elle bougeait, peu, mal, mais bougeait.

Il prit un envol rapide et retourna voir son maître, croassant, se faisant comprendre comme à son habitude par ce dernier, il l'amena à la jeune Aria qui vivait ses derniers instants d'une vie qui venait à peine d'éclore.

Genesis Flammae AeternaeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant