Ils traînaient dans les rues londoniennes, Amadi posant par endroits pour Henry qui gribouillait dans son cahier de croquis ; le déjeuner les trouvait devant un restaurant que Henry affectionnait. Il traînait Amadi Alaba au comptoir de service, tous les clients avaient les yeux rivés vers eux. Henry commandait avant de s’asseoir à une table à l’angle de la pièce lorsque le serveur apportait leurs verres en fixant bizarrement Amadi._J’ai commandé deux verres… qu’est-ce qui se passe avec le second ? Interrogea Henry, agacé.
_Euh… oui, désolé, le patron n’accepte pas d’esclave…
_Clinton ! Cria Amadi en levant la tête vers le serveur. Il aurait reconnu cette voix entre mille.
_Amadi Alaba ? C’est toi ? Amadi se jeta au cou du brun qui n’avait plus de doutes.
_Je ne t’ai pas reconnu tout de suite, mais je me demandais où j’avais déjà vu cette tête, quelle élégance !
_Le jeune homme, d’à peu près le même âge qu’Henry, avait les yeux humides.
_Quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ? Ordonna Henry, se levant à son tour pour se mettre entre Amadi et Clinton.
Avant qu’il n’eût de réponse, le propriétaire du restaurant se tenait devant eux, exigeant le départ immédiat du noir. À ce moment précis, l’esprit d’Henry lui envoyait en boucle les propos inhumains, méchants et racistes que son amoureux avait dû subir en une seule matinée, la colère montait en lui alors que le gros monsieur, maintenu dans un costume pas du tout à sa taille, continuait de leur crier après. Simultanément, le poing d’Henry et celui de Clinton s’abattaient sur sa figure, le faisant saigner sur-le-champ. Des hommes venaient prêter main-forte au cuisinier, déclenchant une bagarre. Une main saisit Amadi, l’entraînant à l’extérieur avant qu’il ne participe au combat ; Henry et Clinton affrontaient carrément toute la clientèle blanche du restaurant. La situation empirait quand un sexagénaire intervenait, sa canne à la main.
_Vous ! Il pointait sa canne sur le patron du restaurant au sol. Calmez vos clients. Si cela arrivait aux oreilles du roi, votre restaurant serait fermé immédiatement. Et vous, il dirigeait la canne en direction d’Henry et Clinton, sortez d’ici avant de finir en prison. Les deux camps s’observaient sans se décider à écouter le vieux chauve à la barbe blanche abondante. Que faites-vous encore là, bon sang ! Il frappait la canne au sol plusieurs fois, que la foule se dispersait.
Le vieil homme conduisit Henry et Clinton à quelques rues du lieu de la bagarre, où attendait Amadi Alaba nerveusement avec un autre esclave noir tout aussi bien paré, surveillant ses faits et gestes. À la vue des siens, il courut les prendre dans ses bras, mort de peur.
_Jeunes gens, soyez plus sages à l’avenir. Ce genre de comportement n’aide ni votre ami ni ses semblables. Soyez sûrs d’une chose, en rentrant chez vous, tous ces blancs coincés que vous venez de tabasser vont se défouler sur leurs esclaves. Cela aurait pu être évité si vous étiez partis plutôt…
_Nous voulions juste déjeuner…
_Vous l’avez entendu, il dit que ses clients ont la nausée à la vue d’un noir, pourtant il leur cache que sa cuisine est pleine d’esclaves noirs ? S’emporta Clinton.
_Je vous comprends, et croyez-moi, ils savent pertinemment qu’il y a des noirs dans cette cuisine. Ce qu’ils refusent, c’est de partager leur espace, ils ne veulent rien lâcher de leurs privilèges sinon, ce serait la fin. Opprimer, c’est ce qui les maintient en haut, votre ami aurait pu être blessé ou exécuté pour avoir perturbé l’ordre public alors qu’il n’a rien fait. Vous êtes responsables de sa sécurité, si vous ne pouvez pas faire preuve de diplomatie, évitez de l’emmener en ville. Isaac, on s’en va. Le vieil homme prit le menton d’Alaba dans ses mains une fois à son niveau. C’est un bel homme que vous avez là, tout s’explique. Il tapotait affectueusement la joue d’Amadi avant de prendre appui sur le bras de son esclave, sourit à Alaba avant de partir.
_Sir, quel est votre nom ? Lança Clinton.
_N’ayez crainte, nous nous reverrons très bientôt. Les gens comme nous finissent par se croiser tôt ou tard. En attendant, essayez de ne pas déclencher une autre bagarre.
_Un sacré numéro, ce vieillard, alors, faut que je me sauve. Je dois récupérer mes affaires à mon ancien travail
_Vous êtes sérieux ? C’est dangereux d’y retourner, insista Henry.
_Je ne suis pas si con, rassurez-vous. Traiter les Africains comme des humains donne plus d’amis que d’ennemis. Ne vous inquiétez pas, moi, tout ira bien. Dites-moi juste où vous trouver ?
Henry échangea ses coordonnées avec Clinton, qui lui paraissait très proche d’Amadi ; il attendit que Clinton parte pour demander sans transition la relation qui les liait.
Sa jalousie était telle qu’il en tremblait, craignant la confirmation de l’idée qu’il s’était déjà faite. Amadi le trouvait profond et vrai ; la jalousie lui donnait un air fragile qui retranscrivait sa réelle personnalité : un homme de caractère, une belle personne. Amadi souriait en constatant qu’il avait un homme prêt à tout pour défendre son honneur et sa liberté ; il n’avait pas arrêté depuis qu’il l’avait sauvé de la cage.
_Clinton est le fils de Sir Alexandre Augustin Clinton, mon dernier maître…
_L’homme d’affaires ruiné. J’avais compris en faisant le rapprochement avec le nom sur tes papiers et la première fois que je t’ai demandé ton nom. Mais rien de tout ça n’explique votre proximité. Tu aurais dû voir ta tête au restaurant… Amadi affichait une mine joyeuse ; il essayait de rester sérieux face à la crise de jalousie sans succès. Henry l’observait avec colère un moment avant de poursuivre. Je voulais juste passer une belle journée avec toi… Avec tout ça, je ne pense plus avoir envie. Rentrons, s’emportait-il.
_Désolé, mais il fallait que ça sorte… Plus sérieusement, Clinton est le grand amour de ma petite sœur et l’auteur de la grossesse qu’elle porte. L’expression faciale d’Henry changeait subitement. C’est grâce à Clinton que nous avons tous les deux survécu. Et comme tu peux t’en douter, son père n’a pas apprécié d’apprendre leur relation, encore moins la grossesse. Il a refusé de nous laisser à son fils. Clinton a tout fait pour que nous ne soyons pas vendus, mais son père nous avait déjà enterrés au moment où son fils lui a révélé la vérité sur ses motivations à vouloir nous garder.
Amadi tapotait affectueusement l’épaule d’Henry, ne pouvant lui manifester plus d’attention au risque de se faire prendre, même s’il était dans une rue peu fréquentée. Alors, Henry l'attirait vers une place un peu plus calme.
À suivre ...
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L'amour en blanc et noir.
DragosteMa première histoire du genre, dans la collection que j'ai dénommé tome LGBTQ plus promet d'être captivante, mêlant les tourments de l'amour et les défis de la société du XVIIe siècle. Albert Henry Charles Van Der Hope, jeune noble anglais, tombe ép...