Tour de magie

3 1 0
                                    


​Tour de magie

Shaegor avait repris sa route. Il effritait entre ses mains de l'herbe à fumer, qu'il déposait soigneusement dans son Hilatio, un petit tube dans lequel est ajouté du combustible. Le soleil brillait de mille feux, le souffle du vent caressait les feuilles des arbres. Elles voyageaient au gré de leur maître souffleur, passant sous le nez et devant les yeux du marcheur. Le gazouillis des oiseaux rappelait les douceurs d'une saison des premières chaleurs, l'éclosion de nombreux êtres vivants destinés à faner.

La route, parsemée d'un lit de fleurs, dévoilait son plus beau tapis rouge. Shaegor s'engageait dans une petite forêt claire et lumineuse. L'odeur des champignons, de la faune et du sauvage fouettait ses narines. Le parfum du bon gibier, qu'il ne dégustait que lors de rares occasions, guidait par ses traces olfactives les pas du jeune homme. Dans cette forêt pesait un calme d'or, délicieux, qui ne laissait percevoir aux oreilles attentives que la perfection de la nature.

Les pas lourds du fils prodige se trouvaient décalés de cette ambiance unique. Une fausse note dans une symphonie magistrale. Émerveillé par la réelle beauté de cette forêt, le promeneur quitta le sentier et s'engouffra dans celle-ci. Les feuilles tombaient sur ses cheveux, ses grandes mains tâtonnaient l'écorce des arbres, la finesse des branches. Son imagination reflétait la douceur de la peau de cette fille...

Depuis la mort de sa mère, Shaegor avait dû grandir, expulsé de son enfance d'un grand coup de botte. Son père lui avait montré ô combien la vie pouvait-être cruelle, amère, mais surtout, ce qu'être un homme signifiait. Le souvenir de cette nuit le ramenait toujours au même point: être prêt à tout sacrifier au nom du bien. Il s'était détaché des autres enfants pour se protéger... pour les protéger de lui. Le jeune homme ne voulait pas avoir à sacrifier son amour comme son vieux père. Alors, il décidait de ne jamais l'approcher.

Pourtant, cette forêt lui rappelait que la vie pouvait offrir des moments de bonheur, qui happe sans crier gare. Le bien se trouvait au contact de ses doigts, de ses narines, et au coin de ses yeux. Bercé dans les bras de dame nature, celui-ci se laissa tomber contre un arbre et savourait tout simplement un morceau de ce gâteau parfait.

« Qu'est ce qui me prend ? » pensa-t-il.

Le craquement d'une branche retentit. Attiré par le bruit, Shaegor se leva d'un bond pour faire face à un éventuel danger. Une chevelure longue et blonde se cachait derrière un arbre plus fin qu'elle.

« Mila » songea-t-il aussitôt.

Cela lui arracha un sourire. Penser avoir retenu l'attention d'une aussi jolie fille confortait son égo. Il prit une bouffée de son Hilatio, puis, hurla:

« Hé, je t'ai vu, Mila ! »

Shaegor soupira alors, rangeant avec précaution son Hilatio dans une des poches de sa veste. Ensuite, il s'égosilla :

« Arrête de me suivre, va-t'en ! »

Mais la belle s'extirpait de sa cachette et se présenta à lui. La tête baissée, les jambes serrées et les mains jointes, elle prit la position d'une fille vilaine et punie, envoyée au coin pour ses bêtises. Elle lui répondit alors:

« Veuillez me pardonner, maître. »

Shaegor, déstabilisé par cette réponse, perdit sa langue. Des questions le cognèrent de plein fouet. À quoi jouait-elle exactement ? Pourquoi le suivait-elle ? Pourquoi est-ce qu'en lui se développait un sentiment d'attendrissement et de bien être ? Cela avait l'air d'un jeu de rôle érotique auquel Shaegor ne voulait pas participer. Il rétorquait alors :

«Je t'ai dit de me laisser !

— Je suis une vilaine fille, alors.

— Oui, c'est ça, fiche le camp !

— D'accord... je m'en vais... mais tu seras coupable s'il m'arrivait malheur dans ces forêts. Tu sais, je suis une riche en robe, il n'en faut pas plus pour les paervere...

— Si t'arrêtais de les provoquer comme tu le fais avec moi, ça n'arrivera pas, crois-moi.

— Ah oui ? Je te provoque là ?

— Oui !

— Et là ? »

Mila détachait une lanière de son haut et le fit retomber sur son bras, le stoppant juste à temps pour venir à la rescousse de son téton. Ceci dénudait la moitié de son sein gauche. Innocemment, la jeune fille se couvrit la bouche de sa main, comme pour simuler le hasard de cet événement.

« Oups ! Quelle idiote je suis ! Il ne faudrait pas qu'un paervere me voit comme ça, il se sentirait obligé de me faire du mal !

— T'as perdu la tête ? Tu serais punie si on te voyait comme ça. Calme un peu tes ardeurs !

— Est-ce une façon de parler à une jeune femme ? Monsieur le Saint. Elle lui tira la langue.

— T'es une sorcière, c'est ça ? Y a que des sorcières pour être aussi avide de sexe !

— Tu veux un tour de magie ? »

Mila détacha la deuxième lanière de son haut, dévoilant la totalité de sa poitrine aux yeux lointains de Shaegor. Ses longs cheveux courraient néanmoins au galop pour recouvrir ses tétons. La résistance du jeune homme commençait sérieusement à faiblir. Il se sentait pervers et obscène de ne pas avoir tourné le regard. Le charme de Mila était renforcé par la beauté de la forêt et du soleil qui perçait à travers la cime des arbres. Son corps d'Eve dénudé la rendait irrésistible. Ses yeux verts scintillaient au loin comme de l'émeraude. Son sourire discret imprimait dans l'esprit de Shaegor qu'elle s'offrait à lui.

« Joyeux anniversaire, Shaegor ! » cria-t-elle finalement, et tourna les talons.

Le destinataire ne répondit pas, son esprit entier fut complètement obnubilé par ce numéro de charme. Perdu entre désir et foi, bien et mal, Shaegor était incapable d'agir convenablement. Il en perdit même ses mots et ce pourquoi il avait fait tout ce chemin. Ses yeux tombèrent sur les fesses lointaines de la belle Mila, et un délicieux sourire ornait son visage.

Elle disparaissait petit à petit comme un coucher de soleil. Le charmé demeura quelques instants dans une transe, jusqu'à ce qu'il aperçoive au loin deux hommes qui se dirigeaient vers Mila. Leur démarche et leur allure ne présumant rien de bon, le jeune bourreau décida de les suivre discrètement, prenant soin de ne pas alerter sa présence part le son du lit de feuilles mortes qui jonchait le sol.

Leurs pas s'accélérèrent soudainement et se rapprochèrent dangereusement de la belle blonde. D'arbre en arbre, de cachette en cachette, Shaegor tendit l'oreille et espionna la scène. Le joyau vert s'était étendu contre un arbre, les yeux fermés. Plongée dans ses pensées, elle ne notifia pas la présence des deux étranges hommes, jusqu'à ce qu'ils arrivent à sa hauteur. Shaegor entendit alors:

« Alors, la belle au bois dormant, tu t'es perdue?

— Pardon ?

— Tu sais ce qu'on fait aux bourges égarées dans les bois ?

— Tirez-vous avant que je ne vous frappe, vauriens !

— Habillée comme une coatin, on fait simplement notre travail pour le seigneur ! »

Les deux hommes se jetèrent alors sur elle, avec l'idée d'arracher les vêtements de la jeune fille, accéder à son intimité et assouvir leurs immondes pulsions. Son corps tout entier était piégé entre les griffes de démons. Mais, ce jour-là, dissimulé dans la forêt, un ange gardien vola à son secours...

Rédemption, partie première, les liens de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant