Le mal incarné

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« Lâchez-moi ! Hurla Mila.

— Ferme-la, coatin, tu vas goûter à ta punition ! »

Le bruit sourd des feuilles froissées par le poids des hommes sur le corps de la jeune fille ébruitait le déchirement de ses vêtements. Tout cela n'avait rien de romantique, si nous omettons le feuillage aux teintes boisées, argentées, orangées fidèle à la saison d'Automne. Leurs arômes, en fin de vie, semblable à une femme qui s'embellit au fur et à mesure de son âge, se retrouvaient balayés par l'odeur de sueur et de vigne des agresseurs.

Mila se défendait, se débattait, enivré par l'instinct de survie. Survie face à l'atteinte inévitable de son intégrité physique et morale. Elle ne s'était jamais offerte à un homme auparavant, et sa vallée, si paisible, si chaleureuse, si bien protégée par l'intime conviction de ne l'offrir qu'à l'élu de son cœur, allait être saccagée par d'indésirables parasites.

Ils étaient laids, odieux, soumis à leur pulsion de bête sauvage, incapable de rompre avec le plus pervers des traits de la nature humaine. Donner une punition à cette jeune fille, était une façon d'assouvir une pulsion sexuelle, inassouvie par le mariage avec une femme flétrie, tarie de tout désir charnel. Pourquoi laisser les autres en profiter ? Elle l'avait bien méritée après tout, elle qui fut si provocatrice. Une purusienne ne se promenait jamais dans une tenue si attrayante, qui plus est, seule dans une forêt aux témoins absents.

La lutte de Mila fut cessée par la pression des hommes sur ses poignets et ses chevilles. La force de l'homme et sa protection dont elle était friande devenaient son pire cauchemar. Elle sentait leurs mains la parcourir comme on parcoure une carte routière, tracer le chemin le plus court vers la destination : sa culotte. Elle se mit à crier, envoyer des coups de pieds dans le vide. Cela les fit rire. Elle était prise au piège, comme une proie dans un collet, comme la bête défiant à un jeu mortel de vitesse la balle de fusil qui la vise.

« Je vous en prie ! Arrêtez ! » Hurla-t-elle.

Elle entendit soudain l'éclatement d'un morceau de bois sur une surface creuse, très creuse. Le crâne d'un de ses assaillants fit la rencontre intempestive d'un tronc d'arbre. Assommé sur le coup, l'assaillant s'effondra. La biche se dégageait aussitôt de sa situation. Le dernier agresseur eut un geste d'effroi, de stupeur, et de recul, lorsqu'il observa son ami se faire massacrer par un géant en veste noire. Son tour viendrait sûrement après, sa fatalité était inscrite dans une temporalité qui le dépassait. Le géant en découdrait avec la conscience de son compagnon. Si personne ne l'arrêtait, qui s'endeuillerait pour lui ? Sa femme ? Ses enfants ? Même les pires des hommes font pleurer dans les chaumières.

Le survivant dégaina son arme et fit face à son assaillant. Ses tremblements, sa sueur dégoulinante, son rythme cardiaque accéléré, son souffle entrecoupé et haletant témoignaient d'une extrême couardise. Mila s'était relevée. Ses vêtements déchirés, sa nudité dévoilée au grand jour, sa féminité meurtrie, installaient en elle le sentiment le plus incontrôlable des hommes : la haine. Ses cheveux longs voltigeaient furieusement au gré du vent. Mais il n'y avait pas de vent.

La paume de sa main droite contenait une étrange boule de lumière intensément chaude. Une boule de lumière rouge vif dont s'échappait une fumée blanche. La haine se rapprochait de son agresseur, les yeux remplis de larmes de colère.

« Tu vas me le payer ! Tu vas me le payer ! »

Shaegor assistait pour la première fois de sa vie, à la véritable manifestation de la magie. Cependant, il ne put en croire ses yeux. Cette fille qui fut si douce, si charmante, si enivrante, cachait en son sein un esprit vengeur, haineux et même effrayant. Elle rendait impuissant le plus vaillant des soldats, la plus aiguisée des lames, le plus fort des muscles. Pourtant, une insaisissable beauté émanait d'elle, une beauté mystérieuse, inconnue, et étrange. Elle était l'incarnation du mal dictée dans un livre sacré, l'incarnation des maux de la monarchie.

Rédemption, partie première, les liens de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant