Chapitre 1 - Douleur et lumière

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La montreuse 154 se hâtait dans le long couloir de terre. Elle mettait un genou devant l'autre à une vitesse impressionnante, sans se soucier des pierres qui lui entaillaient la peau à intervalles réguliers. Le sol froid engourdissait ses jambes, lui permettant de faire facilement abstraction de la douleur. Elle n'avait pas le temps de s'arrêter, elle n'en avait pas le droit. Le quatrième rechange de l'année aurait déjà dû être décongelé il y a de ça exactement six minutes et trente-trois secondes. Elle avait été retenue par une envie incontrôlable d'uriner. Curieusement, chaque fois que la Montreuse 154 devait réveiller un nouveau rechange, sa vessie décidait de se manifester. Très commode. Elle devait absolument régler ce problème de stress qui l'empêchait de remplir ses fonctions à son plein potentiel.

Elle rampait maintenant dans l'immense sentier menant aux congélateurs individuels dans lesquels les rechanges dormaient profondément depuis la guerre. Elle ressentait toujours un peu d'appréhension quand elle devait sortir un nouveau rechange de son sommeil paisible. À chaque fois elle se demandait si elle allait se faire attaquer, se faire crier dessus, être noyée dans les larmes de son nouvel 'ami'... Les possibilités étaient infinies. Cette fois, elle avait pour mission de décongeler un homme dans la vingtaine. Cheveux bruns, yeux de la même couleur. Un garçon très normal. De chaque cotés d'elle, incrustés dans les parois de terre et de roches, se trouvaient les congélateurs. Certains étaient vides, d'autres avaient toujours un occupant. C'était le cas du congélateur 21 413, celui dans lequel se trouvait le jeune homme avec qui elle serait jumelée pour 13 ans, le temps de lui apprendre le fonctionnement de la société. Elle aimait faire découvrir le nouveau monde aux rechanges, elle adorait ça, même. De plus, en 13 ans, des liens avaient le temps de se former. Elle aimait en apprendre plus sur leur ancienne vie, sur le monde d'autrefois. Cela la fascinait.

La montreuse se trouvait devant le congélateur 21 413. À l'intérieur, elle pouvait apercevoir le quatrième rechange de l'année. Ses yeux, ornés de long cils noirs, étaient clos, contrairement à ses minces lèvres qui étaient légèrement entrouvertes. L'entièreté de son corps était recouverte d'une mince couche de glace. Il semblait mort, comme tous les autres congelés. Elle avait hâte de le réveiller, elle n'aimait pas voir quelqu'un comme ça. Elle s'avança encore plus près du congélateur et appuya sur le bouton de décongélation.

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Il bougeait ses doigts pour la première fois depuis des milliers d'années. La douleur causée par la décongélation de son corps le paralysait plus qu'il ne l'était déjà. La glace qui lui recouvrait le corps lui coupait la peau, ses yeux brûlaient tellement qu'il ne pouvait pas les ouvrir. Il hurlait de douleur, priait pour que quelqu'un y mette fin. Il ne savait plus qui il était, où il était. La confusion et la douleur l'empêchait de penser correctement. Soudain, une main le saisit par le bras et le fit sortir du congélateur. Il fut soulagé pour un bref moment, avant que la terre dure sur laquelle il se faisait traîner ne commencer à lui cisailler la peau à son tour. Il était incapable de crier, incapable de bouger. Il s'évanouit.

Il se réveilla quelques heures plus tard, couché sur une sorte de couverture. Il était recouvert de feuilles médicinales et il n'avait plus froid. Il se sentait très bien, en fait. Il se rappelait de son nom, maintenant. Michaël. Il ne savait pas plus où il était et même en ouvrant les yeux il ne voyait rien, car il faisait trop noir. Michaël étendit les bras de chaque côté de son corps, pour tenter de visualiser l'endroit où il se trouvait. Au début, il ne sentait que la couverture, puis il toucha à de la terre molle et tiède. Il se redressa en position assise. Sa tête lui tournait et son nez était bouché, mais c'était endurable. Il voulu se lever, mais le plafond était trop bas pour le lui permettre. Michaël se rassit donc. Il plongea dans ses pensés pour essayer de comprendre ce qui se passait. Il se rappela la guerre, le verdict du Grand Ours, le destin des humains. Il se rappela les larmes qu'il avait versé en voyant l'ours dominer ainsi le chef des humains, leur dernier espoir. Il se souvint du choix qu'il avait fait de se faire congeler au lieu de mourir ou de vivre dans les terriers. Il avait toujours cru qu'il se réveillerait une fois que les humains auraient repris le dessus, il n'avait jamais pensé que leur exil dans les profondeurs de la terre durerait aussi longtemps. «Les humains n'ont donc jamais repris le dessus...» pensa-t-il, en faisant glisser sa main gauche sur le sol de terre.

«-Ils sont toujours prisonniers des terriers, soumis aux animaux..» dit-il tout haut, cette fois. Il fut surpris de la facilité avec laquelle il avait pu parler, après des années de sommeil.

Il ne pouvait pas le croire. C'était terrible, inimaginable. Il ne voulait pas le croire. Il prit une poignée de terre et la lança droit devant lui. Il n'acceptait pas le fait qu'il allait devoir vivre dans des terriers, comme un animal. Il était en colère, frustré. Où étaient les autres? Il devait bien y avoir d'autres humains! Quelqu'un l'avait réveillé et amené ici, alors où était son sauveur? Pourquoi était-il tout seul? Toutes ces question ne faisaient que l'exaspérer encore plus. Il se mit sur quatre pattes et entreprit de s'échapper de cette prison de terre et de pierre. Il se fichait de ce qu'avait dit le Grand Ours, il allait revoir le soleil et c'était indiscutable.

Avant qu'il ne puisse faire un seul pas, il sentit une main se poser sur son front. Il s'arrêtât net, surpris. Une mince flamme jaillit soudain d'une petite brindille que tenait la personne qui venait de l'arrêter. Michaël pouvait maintenant voir. La première chose qu'il contempla grâce à sa vision nouvellement retrouvée fut la personne, la femme, qui lui touchait toujours le front. Elle était humaine, sans aucun doute, mais elle était.. Différente. Ses yeux étaient immenses, fascinants, les iris d'un bleu-vert qui brillait littéralement dans la pénombre. Sa bouche était toute petite, ses lèvres incolores. Des cheveux d'un blanc pur recouvraient le dessus de sa tête. Sa peau semblait transparente, il pouvait voir beaucoup des veines au travers. Son visage était orné d'un petit nez aplatit. Elle était toute petite et semblait si fragile. Toutefois, Michaël changea vite d'opinion concernant la fragilité de l'inconnue quand il remarqua les ongles ressemblant à des griffes acérées qui agrémentaient ses mains. Il déglutit lentement.

«-Tu es réveillé» , remarqua, en employant un français incertain, l'inconnue aux yeux turquoises. 

«-Je suis la montreuse à qui tu as été jumelé. Comment vont tes coupures?», demanda-t-elle.

-Note de l'auteure-

Voilà, le premier chapitre est achevé! Qu'en pensez-vous?

Encore une fois, si vous voyez des fautes d'orthographe merci de m'en informer :D. Merci mille fois de lire mon histoire!

La nostalgie des bourgeonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant