Chapitre 3

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Je lance des regards d'un bout à l'autre de la pièce remplie de monde, de flics. Je cherche un regard, je veux trouver la personne qui m'a envoyé cette lettre. Parce que je me dis qu'aussi bien, cette personne me connais bien mieux que ce que je veux le croire. Mais qui ? Je suis quand même discret, le fait de travailler dans la police m'a appris à effacer les traces, quelles qu'elles soient, avoir des alibis solides. Personne n'est censé être au courant de quoi que ce soit. Et si c'était un piège ? Ce n'est pas si rare après tout. Pour faire en sorte que quelqu'un fasse des aveux, il suffit que cette personne pense qu'on sait déjà ce qu'elle a fait. Huit fois sur dix, la personne avoue. Alors qu'à la base, nous n'avions que supposé des faits, nous en sommes rarement certains. Alors il ne faut surtout pas que je cède à la panique, que je laisse transparaître la moindre émotion. Tout ce que j'ai à faire, c'est jeter cette lettre et faire comme si de rien n'était. Ou alors... non, c'est une mauvaise idée, parce que pour le coup, j'ai des choses à me reprocher. Je vais garder la lettre. La cacher. Je vais continuer ma journée en étant le plus vigilant possible, mais sans éveiller les soupçons non plus. Il ne faut pas que j'agisse bizarrement. Une fois la journée passée, ce soir, je m'occuperais de tout ça. J'ai des contacts, je retrouverais la personne. Et si ce n'est pas le cas, je me débrouillerai pour mettre tout le monde à l'abris. Je n'aime pas passer du temps en la compagnie de ma famille, mais si ma pire angoisse c'est de les perdre, c'est quand même pour une raison. J'aime ma famille, quoi que mon stupide frère en pense, et je ne laisserai personne leur faire du mal. Surtout si c'est ma faute...

La journée est calme. Avant Noël, généralement, ce n'est pas le moment où j'ai le plus de travail. Je m'adonne à la tâche de trouver une façon de protéger ma famille. D'ailleurs, jusqu'où va ma famille ? En soi nous n'avons pas une famille si imposante que cela. Il y a bien entendu mes parents, mon frère et moi. Mes parents ne se sont pas remariés après le divorce. Il nous reste un grand-père du côté de notre mère, et nos grands-parents du côté de mon père. Ma mère à un frère, qui n'a pas de famille lui-même. Mon père à une sœur et un frère, mariés et ayant deux enfants chacun, une fille et un garçon à chaque fois. Bien. Mes cousins sont encore à vivre chez leurs parents étant mineurs, donc cela réduit le nombre de lieux à protéger. Je dois, seul, protéger au moins quinze personnes. Quinze personnes qui sont presque susceptibles de se retrouver dans la même maison dans quelques jours. Je regarde le calendrier. Nous sommes le dix-huit décembre. Il me reste six jours avant le fameux réveillon. Même si rien ne me dit que la personne va réellement s'en prendre à ma famille, si elle est réellement au courant de quoi que ce soit, ou même qu'elle existe. Je pense que je m'emballe pour rien. Mais encore une fois, l'épée de Damoclès qui est suspendue au-dessus de ma tête se met à trembler et menace de tomber. Je sens la mort s'approcher lentement mais sûrement de moi, de ma famille. Je sais qu'elle pense que c'est le bon moment. Ça fait longtemps qu'elle ne m'a pas frappé, qu'elle nous a épargné. Il faut que je fume.

Je sors fumer. Je sais bien que fumer tue, mais vivre tue aussi, et la seule façon d'échapper à la mort, c'est de vivre. Je pourrais éviter la cigarette, mais j'ai sombré en entrant dans la police, et depuis je ne peux arrêter. Je ne peux m'empêcher de repenser à ce qui m'arrive. J'enquête sur des crimes, la plupart du temps des histoires de gangs qui s'affrontent. Depuis combien de temps je n'ai pas eu à faire avec un tueur en série ? Longtemps. Très longtemps. Puis je sais très bien comment ça se passe. C'est un peu comme les attentats. Il n'y en a pas pendant une certaine période, puis quelqu'un, un peu éméché après une soirée entre amis par exemple, va sortir le fameux « Ça fait longtemps qu'il n'y a pas eu d'attentats vous trouvez pas ? » et Bam, trois jours plus tard les médias annoncent un kamikaze qui a essayé de faire sauter un hôpital en Angleterre. Bien entendu ce n'est pas lié. Mais d'un autre côté, on ne peut pas s'empêcher de se dire que si personne n'avait rien dit, il ne se serait rien passé. C'est normal non ? Et là je viens de me dire que ça fait longtemps qu'un tueur en série n'a pas frappé. Juste après avoir reçu une lettre de menace, qui menace ma famille entière. Je suis trop con. Je viens de m'attirer la poisse tout seul, comme un grand. Et maintenant, je flippe deux fois plus. La seule façon de penser à autre chose, c'est de bosser. J'écrase donc ma cigarette et retourne dans le bâtiment.

C'est un commissariat miteux, qu'on nous promet de rénover tous les ans. Tout est vieux. Les bureaux, les chaises, les ordinateurs, la peinture des murs, la cafetière. Que dire de plus ? A part le commissaire en chef, personne n'avait de pièce réservée. C'étaient plus des pôles. La criminelle, les stupéfiants, la douane et j'en passe.

Je fais parti de la criminelle. Mon métier n'est pas exactement ce qu'on s'imagine, ce n'est pas comme ce qu'on voit à la télé. Mais de temps en temps on tombe sur des cas dignes des meilleurs épisodes du NCIS. Je n'ai pas la prétention de dire que je suis un bon flic. Les bons flics ne reçoivent pas de lettres de menaces. Mais je m'occupe des affaires qui me sont confiées avec la plus grande attention. Il n'y a pour l'instant aucun cas qui nous a échappé, moi et mon équipe. Nous ne sommes pas dans la plus grande ville qui soit, mais nous ne sommes pas non plus à la campagne. C'est une ambiance de travail qui me convient. Je sais, j'ai dit un peu plus tôt que je ne pouvais pas me voir certains de mes collègues. C'est la pure vérité, seulement je sais faire la part des choses, le ressenti personnel et le travail. Ils ont beau être agaçants à toujours vouloir parler et savoir ce qui ne les regarde absolument pas. Mais comme moi, pour la plupart en tout cas, ils sont aussi passionnés par leur travail, et veulent réussir à élucider les meurtres.

Je ne suis pas commissaire ou lieutenant ou quoi que ce soit, je suis un simple policier de la crim. En entrant dans la police, j'ai commencé par travailler dans la brigade anti-criminalité, la BAC. Être sur le terrain, vivre à cent à l'heure, tout ceci me faisait vibrer. Malheureusement, devoir sans arrêt se rendre au sein même des trafics de tout genre, devoir prendre contact avec des gens sans foi ni lois sans éveiller aucun soupçons, tout cela m'a fait faire des choses. Des choses qui sont complétement contre l'éthique policière, contre l'éthique tout court. J'ai conscience du tord que j'ai fait autour de moi, d'à quel point j'ai pu faire souffrir des innocents. Mais étrangement, je ne me sens presque pas coupable. C'est vrai quoi, il est parfois encore plus excitant de se trouver de l'autre côté de la justice. Cette adrénaline qui monte à l'idée de se faire attraper, les plans qu'il faut imaginer pour n'éveiller aucuns soupçons, du côté de la police cette fois, ça me fait me sentir encore plus vivant.

Oui j'ai les mains salies de crasses plus horribles les unes que les autres, et c'est pour ça que j'ai quitté la BAC. Ça devenait dangereux de jouer sur cette double vie. Vivre avec de l'adrénaline oui, mais ne pas vivre ni se faire prendre bêtement c'est encore mieux. Donc je suis passé dans la crim. On m'a proposé de monter en grade évidemment, mais je sais très bien comment ça se passe, je sais qu'on enquête sur nous, notre vie, notre routine, nos connaissances. Là encore, c'était trop dangereux.

Seulement voilà, je ne sais ni qui sait tout cela, ni comment, et c'est très dangereux pour moi. Ça peut tout aussi bien être un collègue pas net qui veut me faire peur et faire en sorte que j'aille moi-même me dénoncer à nos supérieurs, pour être certain de ne pas s'attirer ma haine et celle des autres (personne n'aime les balances, même dans la police. Ou alors un de mes contacts, qui se serait fait suivre, et qui a décidé de m'utiliser comme moyen de pression pour échapper à la justice. Sinon, et c'est le scénario le plus dangereux, cela peut être quelqu'un qui ne fait ni parti de la police, ni de mon réseau ou autre gang, mais un malade mental qui ne cherche qu'à tuer, et qui attendait sagement une cible à atteindre. Et quoi de mieux qu'un flic qui trempe dans les pires affaires de la ville ? Même si j'arrivais à le faire attraper après qu'il ait commencé à tuer (oui parce que je ne vais quand même pas me vendre à la police), j'allais moi aussi passer par la case prison. Et je ne suis pas certain de vouloir retrouver certaines personnes que j'ai moi-même envoyé là-bas. La situation m'échappe et je déteste ça.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 06, 2022 ⏰

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