1

18 4 2
                                    






   Elle était en retard. Légèrement. Avec style je dirais même.
   Seuls des bourgeois avaient eu l'audace de se pointer à un de mes rendez-vous en retard. Leur retard était une marque hiérarchique, une annonce ambulante soulignant leur position. Le délai que ce genre de personnes imposait à nos rencontres n'a jamais été bien agaçant, juste un peu perturbant pour un esprit comme le mien.

   C'était une femme cette fois.
   Deux mois s'étaient écoulés depuis que j'avais eu affaire avec une femme. La dernière avait été sournoise, méfiante. Elle avait douté de mes services, les avait questionnés avec une haine et une gracieuseté face auxquelles je ne pouvais rien faire. Je n'avais pu que sourire.

   Son souci et son anxiété résidaient en la découverte de la tromperie de son mari, un homme qu'elle croyait loyal et honnête. Il est un féministe, avait-elle clamé avec horreur, comment pouvait-il donc me tromper?
   Sa sensibilité était fragile. Nos conversations me laissaient penser qu'elle était plutôt venue ici pour se confesser, pour dégager la culpabilité de son âme avant qu'elle ne commence à m'expliquer comment elle voulait que l'ange de la mort ne frappe. Je n'étais point un thérapeute ou un psychiatre, mais je savais que son aveu était nécessaire pour elle, donc je me taisais.

   Elle m'avait dit que son mari avait débuté un cycle de violence et de manipulation dont elle avait pris quelques mois à se rendre compte. Cette femme affirmait qu'elle ne tiendrait plus dans cet environnement brutal et qu'un d'entre eux devait mourir. Elle ou lui.
   La façon dont elle disait ces mots était solennelle et austère. On aurait dit un sataniste blasphémant sur le catholicisme et sur ceux qu'il appelait les infidèles.

   Elle voulait qu'il meure au poison. Indétectable à l'autopsie, laissant croire à une crise cardiaque que son mari gras et alcoolique aurait eu un jour ou l'autre.
   L'histoire collait à merveille. Cette femme était devenue Giula Tofana. Elle s'était sentie puissante. Le meurtre de son mari lui avait plu. Pourtant, elle s'était suicidée une semaine plus tard, juste après avoir renvoyé le virement sur mon compte. L'ange de la mort l'avait frappée.

   Ne pouvant m'empêcher de sourire face à la remémoration de ce curieux personnage, je bus dans mon verre, une douce musique de jazz embrumant mon esprit, le protégeant de toutes mauvaises pensées.

   Ma nouvelle cliente était maintenant dix minutes en retard. La règle était simple. Dix minutes de retard sur un rendez-vous d'une telle importance équivalait à un retrait de la soif de sang. Cette femme ne désirait plus tuer la personne qu'elle méprisait. Elle se retirait.
   Tant mieux pour elle.

   Assis à un bar, je me lève de mon tabouret, croisant un regard perçant alors que je me retourne. Elle était devant moi. J'ignorais si c'était vraiment elle, mais cette femme me regardait moi. Ses yeux reflétaient une peur, mais surtout une dépression destructive. Allait-elle me demander de tuer son amant? Quelqu'un envers qui elle avait de l'affection? Était-ce pour cela qu'elle avait l'air si triste? Une telle mine n'était point rare pour moi. Plusieurs l'arboraient quand on se rencontrait.

   Aucun mot ne fut nécessaire. Je me rassis et lui pointai le tabouret à côté du mien. Elle s'assit, me regarda pendant un long moment. Lorsqu'elle détourna le regard, c'était pour commander une boisson, un verre de vin rouge.

   Elle était atrocement jeune.

   « Mr. Kim? » J'hoche de la tête. C'était bien moi.

   « Puis-je savoir votre nom? » demandais-je et elle se raidit, camouflant plutôt bien sa surprise. Tous mes clients évitaient de me donner leur nom. La plupart était de notoriété publique. Si je savais leur nom, ce serait une source de danger pour eux.
   « Je crois bien que ce ne soit pas obligatoire », me répondit-elle, m'offrant un sourire des plus neutres. Quelle aura froide qu'elle avait. Je répondis par un sourire chaleureux.
   « Vous semblez être plutôt jeune. Est-ce que je vous fais peur? » demandais-je et elle but une gorgée, croisant une de ses jambes sur l'autre alors qu'elle oriente son corps vers le mien.
   « Je crois bien avoir l'âge nécessaire pour demander de vos services » elle était majeure, peut-être même avait-elle fêté son dix-huitième anniversaire il y a quelques mois. « Les personnes en général ne m'offrent aucune frayeur. Vous n'êtes point une exception »

𝐋𝐄 𝐒𝐏𝐀𝐃𝐀𝐒𝐒𝐈𝐍 | 𝘬.𝘵𝘩Où les histoires vivent. Découvrez maintenant