2. Le livreur

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Méléa posa le bol sur la table basse et regarda à travers l'œilleton. Un livreur ? Elle déverrouilla la porte. Il avait une boite à pizza et la casquette de la marque assortie.

— Bonsoir ?

—Bonsoir.

Le livreur fit mine de lui tendre la boîte qu'elle ne saisit pas.

— Je n'ai pas commandé de pizza. C'est une erreur.

L'homme regarda autour de lui.

— Il n'y a qu'un seul appartement au 4ème étage.

— Vous êtes sûr que c'est la bonne adresse ?

Il lui récita son numéro d'immeuble.

— Vous êtes bien... Méléa Sandersons ?

— Heu, oui.

— La pizza est bien pour vous. Elle a été réglée par virement. Vous la prenez ou je la mange ?

Elle pensa à son frigo vide et tendit les bras pour recevoir le carton en soupirant. Le livreur lui souhaita une bonne soirée et descendit les escaliers en bois. Méléa éteignit la lumière du couloir et referma la porte à clef. Elle posa la pizza à côté de son bol et s'assit pour la contempler. C'était bien la première fois qu'on lui faisait ce genre de cadeau. Son admirateur secret ne pouvait pas lui envoyer des fleurs plutôt ? Alors, pizza à l'ananas ou classique reine ? Elle souleva le carton et grimaça. Un message au marqueur rouge remplissait la face verticale.

Sa famille... Elle ne renoncerait donc jamais à la contacter ? Ces derniers mois de silences, depuis Noël, avaient été trop beau pour être vrai. Assez longs cependant pour qu'elle ne pense pas à eux devant cette livraison incongrue. Elle espérait que le livreur avait été payé et non pas enchanté pour lui amener sa pizza. Avant de déchiffrer les pattes de mouches collées de sauce tomate, elle vérifia qu'aucune rune n'était gravée sur la boîte. Elle ne voulait pas qu'un sort lui explose à la figure. Rien.

Rassurée, elle ôta le morceau de jambon collé et lut avec peine :

Méléa,

Viens de toute urgence au bastion familial. Ta mère ne va pas bien. Chemin X, zone 4, symbole angulé. Tante Reyda.

Angulé ? Ce mot ne voulait rien dire mais il était si mal écrit... Reyda n'était pas médecin mais elle en avait l'écriture. Méléa hésita. Elle se rappelait du dernier message alarmiste qui l'avait mise dans tous ses états alors que ce n'était qu'un piège pour l'attirer au dernier Noël. Elle était entrée dans une colère noire et leur avait jeté au visage qu'elle aurait souhaité ne jamais les connaitre. Cette émotion brûlait encore sous la surface et elle n'avait vraiment pas envie de reproduire l'expérience. Elle arracha le morceau de carton pour le jeter à la poubelle avant de tout de même profiter de la pizza savoyarde, sa préférée. Sa tante n'irait pas jusqu'à enchanter de la nourriture... Si ? S'interrompant de mâcher, elle vérifia que rien n'était dessiné sous la pâte. Non. Mais l'envie lui était passée. Dans le doute, elle cracha le morceau qu'elle avait en bouche et jeta le reste.

Le lendemain était son jour de repos. Méléa profita de ses quelques heures de temps libre pour rallonger son sommeil avant de passer un long moment sous la douche. Elle n'avait pas bien dormi. Elle ne cessait de se demander si ce message d'urgence l'était vraiment... ou non. Depuis qu'elle avait changé de numéro et de téléphone, elle ne pouvait même pas appeler sa mère pour vérifier qu'elle allait bien. Mais, elle était bien décidée à ne plus se laisser mener par le bout du nez.

 Elle vida la poubelle et la prit pour la jeter, tout en descendant les marches. Elle l'abandonna dans le contenaire de l'immeuble et marcha vers le centre-ville. Tout pour se changer les idées. Elle flâna dans quelques boutiques sans grande conviction et se posa à un bistrot place Saint Louis pour le déjeuner. Fichue famille. Elle n'arrivait pas à se les sortir de la tête. Elle venait de commander le dessert quand un nouveau livreur, de fast-food cette fois, se présenta devant elle.

— Méléa Sandersons ?

— Oui...

— C'est pour vous. Bonne journée.

Elle réceptionna le sachet de papier avec un nouveau soupir. Sa tante ne comptait pas lâcher l'affaire de sitôt. Alors qu'elle allait se décider à aller voir ce qu'il se passait, cette nouvelle intervention dans sa vie, voir espionnage pour savoir où elle se trouvait, la fit changer d'avis. Ils voulaient lui parler ? Qu'ils viennent en personne si c'était si urgent ! Elle froissa le sac, le jeta sur la chaise et quitta la place en laissant le paiement pour le repas sur la table. Zut, zut et zut !


Méléa et le GraoullyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant