Après le buffet, évidemment, vient l'enfer du repas. Entrée chaude, entrée chaude, poisson, viandes, féculents (toujours accompagnés de légumes), poire, fromage, dessert, fruits, café ou thé... Je prends le parti de faire semblant d'être végétalienne afin d'échapper à la plupart des plats. Je remarque un garçon d'à peu près mon âge qui ne touche pas à son assiette de tout le repas. Je me sens moins seule.
Le repas se déroule à peu près sans encombres, j'arrive même à discuter avec plusieurs personnes, une fille s'appelant Liliane, aux cheveux châtains avec des mèches décolorées, du Clan de l'Air que j'avais vu embrasser sa petite amie, et une personne au genre jusqu'à présent indéterminé venant du Clan de l'Eau du nom de Sasha, que nous évitons toutes les deux de genrer et qui s'est teint les cheveux en verts, donc le frère s'avère être Noah. Comme quoi, les liens du sang ne veulent rien dire. À propos de Noah, ce crétin me demande, visiblement dans un effort de politesse considérable :
"Passe-moi le sel, la blondasse !
- Je t'interdis de m'appeler ainsi. J'ai un prénom.
- Oui, mais t'es une blondasse.
Je lui adresse un petit sourire à peine teinté d'ironie et lui désigne la fille à côté de moi ; elle est noire et porte un robe violette évoquant les papillons.
"Tu penses que la jeune fille à mes côtés aimerait qu'on la traite de travelo ?"
Elle me regarde, choquée que j'ai remarqué qu'elle était trans - elle n'a pas dit dit un mot de la soirée. Comment je l'ai vu ? Nous avons apparemment tous le même styliste et elle est arrivée juste après moi. En plus, elle a l'air de super bien s'entendre avec Henri, contrairement à moi.
"Ou encore que Liliane apprécierait qu'on la traite de pédale ? Je ne crois pas, non. Alors même si le fait que je t'ai foutu un râteau tout à l'heure justifiait toutes les insultes du monde, crois-moi ou non, je ne te laisserais pas faire."
Joignant le geste à la parole, je plante mon couteau à steak entre le majeur et l'annulaire droits de Liliane, provoquant un grand silence. Noah me regarde, et je lirais presque des excuses dans ses yeux si je l'en pensais capable, ce qui n'est actuellement pas le cas. Liliane a l'air de prier, et Finn se met à tapoter sur la table avec ses longs doigts fins. J'adore ses mains.
"Vous saviez que lorsqu'on met un coquillage à notre oreille, ce n'est pas le son le son de la mer qu'on entend ?" commence-t-il en me regardant, terrorisé. "En réalité, le coquillage agit comme caisse de résonance, et le son que l'on entend est celui de notre sang circulant dans les vaisseaux sanguins de notre oreille."
Comment sait-il ça ? Creepy. Le pire, c'est qu'il se met à rire. Actuellement, je suis partagée entre le jugement et la reconnaissance. Je décide d'adopter les deux comportements - oui, c'est possible, ne sous-estimez pas mes capacités - quand les autres se mettent à rire petit à petit. Au bout de 4 minutes et 38 secondes de fou rire, un des vieux vient me chercher, certainement pour le coup du couteau.
"Mademoiselle Adelina, Votre Angerie, je m'appelle Jean -Philippe-Bernard-Claude, je suis un Ancien Ange" se présente-t-il avec un léger accent. Le respect se lit dans ses yeux bridés. Je le salue d'un signe de tête pour lui montrer que je l'écoute.
"Mademoiselle, enfin, vous ne pouvez pas vous permettre de mettre un autre Ange en danger !"
Bingo.
"Allez dire ça à ma sœur, pour voir ?
- Oui, oui, j'ai entendu parler de votre histoire, Votre Angerie... Mais planter un couteau dans la main d'un autre Ange ! Enfin, à quoi pensiez-vous ? Vous auriez pu lui faire mal !
- Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, je n'ai pas planté le couteau dans sa main, mais bien à coté de sa main. J'avais parfaitement le contrôle de la situation.
- Vraiment ? Prouvez-le.
- Avec plaisir, Jean-Philippe-Bernard-Claude" conclus-je en réprimant un rire. Quelle idée d'appeler quelqu'un ainsi !
On m'apporte alors un couteau et un domestique effaré qui semble sur le point de s'évanouir de peur. Je tente de le rassurer en lui assurant qu'il ne risque rien, mais je crois que ça ne marche pas parce qu'il me regarde, encore plus tétanisé. Jean-Philippe-Bernard-Claude lui demande de poser sa main sur la table qui occupe quasiment toute la pièce, puis il m'explique que je dois jouer au Knife Game Song. Si vous ne le savez pas, le Knife Game Song consiste à planter une lame entre ses doigts le plus rapidement possible tout en chantant. Dans le cas présent, entre les doigts du domestique, car il ne faudrait pas prendre le risque d'abîmer un Ange.
"Suis-je obligée de chanter ?" demandé-je à l'Ancien qui acquiesce de la tête. Je me demande ce qu'il a bien pu faire pour perdre son titre... Je commence donc une version a cappella de Baby Shark, tout en plantant le couteau entre le pouce et l'index du pauvre domestique. Je continue en accélérant la cadence pendant que Jean-Philippe-Bernard-Claude (décidément, je ne vais pas me remettre de son nom) me sermonne.
"... Enfin, Mademoiselle, vous auriez pu lui faire mal... Heureusement qu'il y avait la nappe... Vous auriez pu abîmer la table..."
Au bout d'un moment, il se tait, et je me rends compte qu'il est impressionné. Je relève la tête pour le regarder.
"Arrêtez, Mademoiselle ! Vous allez lui faire mal !"
Je lâche mon couteau me redresse. Le domestique récupère sa main, traumatisé. J'espère pour lui qu'il ne travaille pas dans les cuisines, parce qu'à mon avis, il ne pourra plus revoir la moindre lame de sitôt.
"Alors ?" demandé-je à l'Ancien.
"Vous avez prouvé que vous aviez la situation en main, et par le même acte que vous n'étiez pas dangereuse pour les autres Anges. Vous pouvez regagner le repas, mademoiselle."
Je me dirige vers la salle à manger à contrecœur. J'arrive au moment du dessert. Je jette un regard noir à Noah, avant de me rendre à ma place à coté de Justine. Liliane se tourne vers nous et entame une conversation.
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Même les Anges peuvent faillir
FantasiImaginez un monde où votre vie est écrite à votre naissance, un monde où de simples yeux peuvent vous projeter au pouvoir... C'est dans ce monde que vit Finn, qui sait beaucoup de choses, mais pas les plus importantes. C'est dans ce monde que vit S...