Chapitre 3

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Vendredi 25 décembre 2020

La lumière de la lampe au-dessus de moi m'aveugle. Battant des paupières, je reprends progressivement conscience. Je connais cette chambre, elle est dans les tons de blanc et de bleu très pâle. Comment l'oublier ? Je l'ai déjà vue bien trop de fois ! Je ne me sens pas bien du tout. Je dois sortir d'ici au plus vite... Il est hors de question que je finisse mes jours ici. Cette chambre a déjà vu trop de gens la quitter si abruptement.

Plusieurs appareils sont branchés à mon corps endolori par les nombreuses opérations que j'ai dû subir hier pour rester en vie. Un tube me permet de respirer. Je flotte comme sous gravité au-dessus de mon corps. Des fleurs jaunes, des tulipes, mes préférées, sont installées sur la petite tablette en bois au pied du lit. J'aimerais pouvoir les sentir. Me délecter de leur merveilleux parfum qui me rappelle tant l'été, mais c'est impossible. Comme enchaînée, je suis condamnée dans un coma artificiel à survoler mon corps sans pouvoir me l'approprier ou le quitter. La fenêtre donne une vue sur le ciel sombre. L'heure des visites doit être terminée, c'est pourquoi je suis seule comme toujours. Les lumières sont tamisées... Pour m'aider à dormir. C'est inutile.

Un garde passe régulièrement devant ma chambre sans s'arrêter. Jamais. C'est toujours le même, un jeune homme de mon âge en haut d'uniforme, les cheveux blonds pêle-mêle, relativement courts. Il semble très jeune pour un infirmier. Je tente de l'interpeller, mais aucun son ne sort de ma bouche. Il ne vient même pas vérifier si je vais bien, si mes machines fonctionnent correctement. Il ne fait que passer comme une pendule, chaque heure.

Durant cette nuit-là, j'en profite pour observer les étoiles. Chacune d'elles brille plus que l'autre d'à côté. Comme si même dans l'espace, il faut toujours être meilleur que les autres. Je me regarde avec pitié et je laisse s'écouler sans gêne les larmes qui glissent sur mon visage pour disparaître sur mon corps. Comment ma vie a-t-elle pu tant déraper ? Pourquoi moi ? Je ne méritais pas ça. C'était mon corps, pas le sien et cet ignoble se l'est approprié. Je tente de me remémorer chaque moment en sa présence. Les visions de la veille me viennent par bribes. Je suis tellement désolée. Comment vais-je passer par-dessus ça ? Et Maman, elle en a assez bavé. Elle sera anéantie en apprenant ce qui m'est arrivé. Je n'ai pas envie de ça. Je ne voulais pas. Pourquoi ne m'a-t-il pas simplement écoutée ?

À l'école, mes notes m'ont permis d'avoir un éventail de choix pour mes études supérieures. Bien que mes parents veuillent le meilleur pour moi, je ne pouvais me permettre de choisir une courte formation. Ils me verraient bien vétérinaire puisque j'adore prendre soin des animaux et que ce serait un métier dont je pourrais dire que j'ai bien réussi dans la vie. Ou encore avocate, j'aime la justice. C'est beau rêver... Surtout en ce moment, dans cette foutue chambre. Je veux retourner dans mon corps !

- Je peux t'aider, si tu le souhaites.

L'infirmier est assis à ma droite. Ses yeux fixent mon âme flottante. Il me trouble avec ses yeux aussi bleus que l'océan. Lorsqu'il cesse d'exercer cette attraction sur moi, je prends conscience que quelque chose ne fonctionne pas. Comment peut-il me voir ? Il ne devrait pas...

Il hoche les épaules nonchalamment. Ses doigts caressent les miens avec une douceur inconnue dont je ne peux hélas pas ressentir. Sa montre indique une heure qui n'avance pas comme si elle était coupée du temps. Elle affiche 16:37, une heure totalement banale et étrange étant donné la noirceur qu'il fait dehors. Il dégage une odeur de bois qui me rappelle tant mon enfance.

Il lève son visage et plonge son regard bleu tristement dans le mien de nouveau. Un petit nez parfait, une bouche impeccablement charnue, un menton qui souligne son magnifique visage. Je cligne des yeux ayant l'impression de rêver devant son incroyable beauté. Ce n'est pas comme si je n'avais vu que des gens laids dans ma vie, mais lui, il écartait toute concurrence en un claquement de doigts. Pourquoi s'intéresser à moi ?

- Repose-toi, tu as un long chemin à parcourir.

Il se soulève lourdement et quitte ma chambre sans se retourner. De quoi parle-t-il ? Je suis trop épuisée pour continuer de penser. Je me sens tellement sale. Une bonne douche me ferait un si grand bien. Je ferme les yeux pour trouver le sommeil, mais j'en suis incapable. Son fabuleux visage m'obsède dans le noir total de mes paupières closes. Je me sens tellement seule. Si j'étais partie, je ne vivrais pas avec ce fardeau. Je serais sans doute plus heureuse que présentement ! Je n'aurais plus d'hésitation. Je serais simplement libre.

Le soleil commence à se lever. C'est Noël. Le ciel se teinte de couleurs chaudes : rouge, orangé et rose. Les voitures klaxonnent, des systèmes d'alarme sont déclenchés par de jeunes cambrioleurs sans expérience et les vapeurs s'échappent des trains. Tous des signes que je suis encore en vie, malheureusement. Je continue à regarder dehors les voitures rouler sur le pont jusqu'à ce que mes yeux se ferment de fatigue devant l'apparition d'un corbeau à ma fenêtre.

Il fait de nouveau obscur dehors. Je dois m'être finalement assoupie. Je souris lorsque je découvre à mes côtés le jeune homme de la veille, qui est appuyé contre la fenêtre et regarde dehors.

- Tu as de la chance. Ton heure n'est pas encore venue.

Je fronce les sourcils ne comprenant pas trop ce qu'il veut dire. C'est quoi cette blague ? Je ne passerai certainement pas ma vie à me regarder être dans un état végétatif dû au coma artificiel qui a aidé à stabiliser mon état. Des tests de viols ont sûrement dû être faits également. Ça m'aurait moins affectée si ça n'avait pas été de moi dont il était question.

- Écoute, j'ai un marché à te proposer. Je te propose de repartir un an en arrière. Je sais que tu as des choses à régler et moi aussi, il y a quelqu'un qui veut ma peau. Tu dois découvrir qui c'est avant que... Si tu réussis, je t'empêcherai de te rendre ici et tu seras certaine de rester en vie. Penses-y, je ne te laisse qu'une chance. Qu'as-tu à perdre, Eva Beauchamps ?

Malheureusement pour moi, je sais pertinemment qu'il a raison. J'aimerais me pincer et me réveiller dans mon lit. Comprendre que toute cette histoire n'est qu'un cauchemar de plus. Impossible pour le moment. Il y a un an que je n'ai plus rien à perdre. Un an que mon sourire s'est effacé. Il est temps de remettre les pendules à l'heure dans ma vie.

J'accepte.                           

Sauve-moi et je te sauveraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant