1. La Terre a cessé

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L'an 235 après la réhabilitation

Nous avons épuisé la terre nourricière, l'économie nous a séparés d'elle pour en faire un marché. Ce même marché capitaliste, moribond, érodé et ses institutions ont précipité le ravage de la biodiversité, le bouleversement climatique et l'atomisation sociale. Dans un dernier souffle, la terre a juste cessé de se renouveler puis elle a commencé à mourir doucement, à reculons, dans une noirceur claire, une lente implosion qui ne nous a pas permis de l'observer à l'œil nu. L'apocalypse climatique s'est révélée meurtrière parce qu'elle se soulevait contre ceux qui l'avaient dépossédée de sa vitalité alors elle nous a fait agoniser, asphyxier douloureusement, pour nous narguer, se venger de notre égoïsme collectif démesuré. Un revers de médaille pour l'avoir abandonné sans que nous nous préoccupions de sa fragilité. Sans vergogne, nous l'avons usée jusqu'à sa moelle, Nous avons abusé de son âme et son incroyable richesse qu'elle nous permettait de cueillir sans contrepartie.

Elle, la terre-mère, nous avait pourtant prévenus depuis des siècles que son cœur s'affaiblissait, c'est ce qu'on apprend à la Chapelle du Milieu. Les températures se sont élevées à plus de soixante degrés au nord de l'hémisphère, brûlant tout sur leur passage. L'urgence climatique n'était même plus si pressante que cela puisque les maladies sont venues décimer peu à peu les populations, une sorte de Malaria incisive qui tuait en moins de quelques heures l'humain, extrêmement contagieuse. En une quinzaine de jours, elle avait enseveli les morts par milliards sur la Terre. Tout ce que les gouvernements de l'époque dépêchés par la Guerre d'intérêt économique, ont réussi à élaborer étaient un unique projet au prix d'or destiné pour et par la haute caste de ce monde : construire des bunkers géants pour y faire entrer des communautés qui se trouvaient immunisées ou non infectées. Sur les dix-huit édifiés, seuls trois ont survécu à ces siècles dans l'obscurité. La partie Nord de l'hémisphère est de nouveau habitable depuis cinquante cycles environ. On a pu observer la recrudescence de la fertilité, de la mortalité. La terre a perdu 90% de sa population humaine et 95% de ces espèces vivantes présentes encore en 2300 après Jésus Christ n'existent plus.

C'est étrange, cet ancien monde basé sur la naissance d'un être tout puissant qui aurait fait éclore la terre. Les humains, avant la réhabilitation, avaient des croyances un peu loufoques. Ils se disputaient le Dieu en question. À la Chapelle du milieu, tout le monde s'en amuse énormément. Enfin, le Guidant du milieu nous rappelle qu'il n'est pas bon de se moquer. Que si nous avons survécu, c'est qu'on nous l'a permis et qu'il faut être humble. Nous ne sommes pas si éloignés de ces autres humains.

L'Europe du Nord, l'ancien Canada et le haut de ce que fût la Russie ont subsisté, fondant les trois Empires. L'Armada du soleil, le nouvel Eden et l'Entre-monde, l'endroit où je vis.

Apparemment, les espèces animales et végétales ont évolué, donnant vie à des créatures transformés génétiquement, puisqu'elles sont plus résistantes à la pollution de la couche d'ozone que nous.. Au sein de notre empire, chaque habitant possède un thermomètre de couche ozonale. Si elle est supérieure à 20 Osbson, unité de mesure de la couche d'Ozone, on s'en tire pas mal, si elle est en dessous c'est la catastrophe. Le débit d'oxygène et des gaz toxiques entrent dans notre atmosphère. Ce thermomètre nous alerte en cas d'urgence et nous permet de respirer sans trop souffrir. La couche aurait perdu quatre-vingts pourcent de son volume, laissant passer des gaz très toxiques, entraînant des vagues mortelles, seuls les bunkers oxygénés peuvent contrer ces crises. Elles attaquent le plus souvent l'entre monde. J'ai assisté à deux de ces tempêtes en dix-neuf très longues années, mais ça m'a largement suffi. L'année dernière, ce fut le cas et je ne pouvais supporter les cris de désespoir des personnes de notre peuple qui perdaient la vie, des rayons du soleil qui brisaient notre épiderme, grillaient nos neurones tant que nous n'étions pas à l'abri. 

Nous sommes l'empire le plus instable de la planète. Nous, le peuple de l'Entre-monde vivons en partie de la générosité du Paradis du Nouvel Eden, qui ne suffit malheureusement pas à rassasier toute la population. En effet, la situation est plus que précaire car nos maisonnettes sont insalubres, les matériaux sont beaucoup trop humides, vétustes et surtout la moisissure décompose nos structures et nous apportent davantage de maladies.

La population vit également des plantations expérimentales dans les serres.

Désastreusement, expérimental ne veut pas dire abondance de nourritures, ni même que les serres fonctionnent alors on chasse ce qu'on peut, ce qu'on trouve sans essayer de dépérir.

Les rations sont maigres mais pas inexistantes. Le principal malheur enraciné dans nos terres se trouve être l'eau. Il n'y en a pas pour tout le monde à Rive du Milieu, à moins de faire partie de la Garde de l'Entre monde. Ce sont des privilégiés puisqu'ils défendent sous serment l'Empire de l'Entre-Monde. La communauté du Milieu ne jure que par le Paradis du nouvel Eden ici. La vie y serait plus paisible, la terre plus fertile, la technologie écologique évoluerait davantage. Il paraît que dans chaque habitation, il y a un arbre. L'arbre de Socrate qui permet la floraison et l'incroyable débit d'oxygène. Un projet scientifique mené à terme qui aurait fait sensation là-bas. Chacun rêve de ce nouveau monde, de son ancien nom : le Canada, d'après nos ancêtres. En tout cas, c'est ce qu'on étudie dans la chapelle que nous avons l'occasion de fréquenter une matinée par semaine.

Chaque année, le nouvel Eden cherche des nouveaux candidats pour explorer les terres un peu plus au sud de leur Empire. Vous voyez, je ne sais pas pourquoi, nous devons nous, nous y coller, nous avons aussi des terres interdites au Sud de l'Entre-Monde. Parfois, j'ai l'impression que nous sommes leurs larbins et d'autres fois j'ai cette sensation que nous sommes les seuls à pouvoir y arriver parce que nous sommes résistants puissants et increvables. Cependant, croyez-moi, d'après ce que j'ai entendu, ces lieux sont habités par la mort, la ruine et l'anéantissement même. Les sélectionnés partent à la rencontre des dirigeants du Paradis du Nouvel Eden, se préparent et s'entraînent strictement et vigoureusement afin d'être prêt aux situations les plus périlleuses. Tout cela, au sein même des appartements du château de l'Empire, de l'Empereur et sa famille. Peu reviennent des terres arides et inconnues. Ceux qui regagnent l'Empire sont accueillis comme des héros de guerre et sont couverts de l'Abondance. Je ne sais pourquoi il faut y aller, ce qu'on y cherche véritablement. J'imagine, les autres bunkers, d'autres hommes, des reliques de ceux qui étaient là jadis c'est à dire des dépouilles.

C'est une expédition extrêmement pernicieuse et les retenus sont évalués sur leur détermination, leur courage, leur capacité émotionnelle et intellectuelle à gérer l'horreur. Pourtant, lorsque les scientifiques et l'armée du Nouvel Eden débarquent sur nos terres, ils sélectionnent seulement une douzaine de jeunes adultes entre 18 et 20 ans pour la durée de la quête, qui peut se trouver très longue. C'est pour ça que nous sommes obligés de nous recenser dès 16 ans. Au centre biologique, le bâtiment le plus abouti de notre Empire, nous passons quatre tests que je n'ai jamais su totalement cerner : Test génétique, Test Omegaverse, tests physiologiques et physiques et tests psychologiques.

16 ans. J'ai l'impression que notre avenir est tracé d'emblée à ce si jeune âge. Il est décidé sans que nous ayons notre mot à dire, sans même que nous sachions ce qu'il adviendra de celui-ci avant la vingtaine et pourtant tout est programmé.

Le monde a perdu quasiment l'intégralité de ses ressources, nous ne pouvons même pas imaginé ce qu'était la beauté des saisons, des fleuves, rivières, lacs, forêts sans danger, des villes animées et villages, des monuments représentant les différentes cultures, des éclats de rire dans les bars, sur les terrasses (un comportement sociologique d'amusement et de sociabilisation), du bonheur d'être complet, serein, accompli au sein d'une famille, de s'amuser plusieurs fois par jour, d'être libre, égaux et heureux. Tout s'est éteint, a disparu pour laisser place au silence angoissant de la faim et de la soif.

Seule l'administration graduelle et l'organisation structurelle des peuples a perduré pour la misère de tout les êtres humains




Agathe and the Shadow EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant