Chapitre 1 - Introduction d'Elena

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« Je vois les racines de la violence et de la destructivité de l'adulte dans les traumatismes et les carences qu'il a subies et refoulés dans son enfance »

Alice Miller


20 avril - 16h30 – Terrasse d'un café, Bordeaux.

Elle boit son latte caramel sur la terrasse du café, en enchainant les cigarettes, ce qui a pour effet de mélanger le goût sucré de la boisson au gout amer de la clope. Elle ne sait même plus si elle apprécie la fumée qu'elle ingère, mais elle se convainc que son angoisse diminue à mesure qu'elle en prend une nouvelle.

Elle réfléchit, encore et toujours. Pourquoi elle ne s'arrête jamais de réfléchir ? Pourquoi elle n'est pas comme les autres à juste, apprécier ce qu'elle a, sans se tourmenter l'esprit, constamment ?

Elle sort de son sac à dos - qui protège initialement son ordinateur de travail - un grand calpin et se voit dessiner machinalement un tableau de « pour » et « contre ».

Il faut qu'elle comprenne ce qui empêche le bonheur d'irradier sa vie.

Pourtant, elle a réussi et est exactement là où elle a toujours voulu être : elle a réalisé de longues études, où elle peinait à payer son loyer et à cette époque, elle enchainait même petits boulots de jour et de nuit en même temps que ses cours.

Elle a désormais une situation financière et professionnelle qui lui convient : elle est cadre, elle gagne bien sa vie et s'éloigne de plus en plus de la précarité qu'elle a pu connaitre chez ses grands parents. Elle s'est même trouvé un copain attentionné, aimant et tout à fait charmant. Ils vivent ensemble dans l'appartement qu'il a acheté, car c'est un homme réfléchit et intelligent, pour 25 ans.

Pourtant force est de constater qu'après cette énumération mentale, cela ne change rien à ce qu'elle ressent : elle n'est pas heureuse.

- On ne peut pas se lever tous les matins avec la boule au ventre et se dire qu'on a la vie que l'on a toujours rêvé... Pense-t-elle. Qu'est-ce qui cloche ? Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?

Elle saisit un stylo dans la poche avant de son sac et débute le tableau qu'elle avait préalablement dessiné.


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Elle s'arrête soudainement d'écrire : elle ne s'attendait pas déceler à chaque « pour » son équivalent de « contre ». Elle fait une moue et comprend que les contres commence à s'agglutiner dans son cerveau, sans trouver de positif en contrepartie. Mais elle ne veut plus continuer cette liste, ou du moins, augmenter la colonne de droite.

Elle relit le tableau rapidement et enfuit le carnet dans son sac, comme pour cacher une certaine honte qui grandit en elle. Surtout à l'égard de ce qu'elle a pu écrire sur son petit ami. Elle fini par se lever de sa chaise pour prendre le chemin de sa maison. De toute façon elle n'a plus tant envie de ce café qui a un gout de clope. Ou bien le contraire.




15 ans plus tôt – Maison des parents

Elle vient de rentrer de l'école et est accueillit par la mine blafarde de ses parents. Dans le salon, sa mère est agenouillé sur le sol, le bras en sang. Elle pleure. Son visage est bouffie, son maquillage coule sur ses joues et appuie encore plus ses cernes noires. Elena n'avait pas remarqué ce matin, mais sa mère n'a surement pas du fermer l'œil de la nuit, encore une fois.

Son père n'est guère mieux, il a les yeux rouges, les lèvres pincés. Elle sent dans la pièce une sorte de tension, comme si l'air était gorgé de tristesse et de colère.

Elena tente d'approcher sa mère mais celle-ci la repousse d'un mouvement de bras.

- Tu vas aller chez ta grand-mère, pour quelques temps, d'accord Elena ? Lui murmure sa mère, d'un calme effroyable.

- Je... n'ai pas très envie... maman.... Je veux rester avec vous. Répond-elle.

- En fait, son père se tient désormais devant elle, il s'accroupit et la tient par les épaules, nous n'avons pas vraiment le choix... Sa voix est plus douce et il semble comprendre son désarroi.

- Mais... je ne veux pas partir. Elena sent que les larmes s'amassent au creux de ses cils, puis commencent leurs trajets sur ses joues. Elle ne comprend pas cette tristesse soudaine mais elle ne peut s'empêcher d'avoir un pincement au cœur, qui ne fait que grandir.

- C'est dangereux ici, continue son père. Tu vas aller un peu chez mamie et papy, ils vont s'occuper de toi pendant que nous gérons la situation. Tu reviendras bientôt à la maison, c'est pour ton bien tu sais ?

Une boule s'est formé, elle prend l'espace nécessaire au fond de sa gorge, ce qui l'empêche de répondre. Elle fuit l'éventualité de se battre pour pouvoir rester. De toute façon, ce n'est pas dans son tempérament de se battre, elle abandonne à la moindre occasion. Elle reste figé, regarde vers le sol et pleure sans aucun bruit, la vitesse dont coule ses larmes l'impressionne et malgré tous ses efforts, elle n'arrive pas à stopper ce phénomène.

Finalement, est-ce si mal d'aller chez mamie ? Pense-t-elle. Une part de son esprit veut rester avec sa mère et son père, mais une autre part, plus égoïste se dit qu'au moins chez mamie, elle peut se coucher tard, lire la nuit et jouer à la gameboy à n'importe quelle heure.

Après tout ce n'est qu'une enfant, est-ce terrible de penser à ça ?

Elle se sent honteuse de réfléchir à tous les côtés positifs qu'elle va obtenir en allant chez ses grands parents, surtout lorsqu'elle regarde à nouveau ses parents, qui sont dans un état catastrophique. Elle se force a oublier ses précédentes pensées et espère qu'ils ne les entendent pas.

Son père fini par monter dans sa chambre préparer ses affaires. Pendant ce temps, elle range dans un grand sac quelques jouets, la playstation et enfin sa gameboy. Elle n'oublie pas ses deux doudous, qu'elle dépose délicatement par-dessus. Son père fini par la rejoindre avec un gros sac rempli d'habits, et ensemble ils prennent le chemin du couloir de la maison qui mène jusqu'à la voiture.

Sa mère ne lui dit pas au revoir. Elle est encore au milieu du salon, en larmes.

Durant le temps de route, elle pense enfin à ce qui a pu arriver à sa mère, elle n'a même pas posé la question et désormais, elle n'ose pas déranger à son père. Celui-ci roule vite, ses sourcils sont froncés et son visage est fermé. Elle n'est pas du genre à chercher les histoires alors elle se tait et s'imagine les pires situations. Elle ressent des picotements dans le cœur et son ventre se tord à chaque nouvelle pensée, toujours plus catastrophique les unes que les autres.

Ils arrivent enfin devant la grande maison de ses grands-parents, son père la dépose, il salue rapidement ses parents, l'embrasse sur le front et remonte vite dans la voiture, comme s'il devait se dépêcher d'aller sauver sa maison en feu.

Elle regarde le 4x4 partir en trombe et pleure de plus belle. Elle comprend désormais qu'elle est triste qu'il ne lui ait pas demandé comment elle se sentait, si elle aussi avait pu être blessé physiquement ou mentalement. Elle découvre qu'elle se sent, pour la première fois de toute sa vie, abandonnée.

TraumatismeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant