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     Elle avance,
  Ses pas font grince le bois vieilli du parquet.
  Elle haïs cet endroit.
  Ce lieu où ils jettent les mots,
  Les mélangent,
  Les suspendent.
  On y perd la beauté de leur prononciation dans l'inutilité de paroles sans signification.
  Le plus âgé de tous l'appelle, attend qu'elle lève la main ;
  Passe au nom suivant, élevant sa voix contre le bourdonnement constent.
  Ce nom, c'est un beau nom. Le mot d'une personne qui connaît leur importance.
  Il lève la main, ne dit rien.
  Il ne dit jamais rien.

      Les autres sortent, l'appellent ; en vain, il écrit.
  Il plonge sa plume dans l'encre, trace ses lettres jusqu'à ce qu'elle s'épuise ; recommence.
  Il la regarde ; ils les deux seuls à être restés.
  C'est étrange, elle ne reste jamais.
  Aujourd'hui, elle est restée, la plume à la main. Les traits tracés sont irréguliers ; elle n'écrit pas.
  Il sourit, se concentre sur sa propre plume, écrit à nouveau.
  L'encre danse sur la page, s'élargit et s'affine à mesure que ses lettres se forment ; se vide ; recommence, toujours.
    Le professeur lui fait un signe de tête, son élève regarde par la fenêtre, le soleil est sur le point de disparaître derrière la cime des arbres. Il doit partir, Marc doit sûrement l'attendre. Il se retourne, elle n'est plus là ; sa chaise est soigneusement remise à sa place. Il range soigneusement son bureau,  sort du bâtiment de briques.
  
      Il s'arrête.  L'or du soir joue avec le pourpre de ses pétales. Elle est magnifique ; ce n'est pas ce qui attire son attention.
  Il s'accroupit, le fait tourner délicatement entre ses doigts.
  C'est à elle.
  Il le sait.
  De toutes, elle est là seule à offrir des présents aux fleurs ; la seule à porter des rubans blancs ; l'unique parmi tous qui ne prend pas la vie d'un être pour une raison aussi futile ; de toutes, elle est la seule à partager son nom avec, la seule à être aussi belle qu'elle n'est garnie d'épines.
  Il sourit, se lève.
  C'était le sien,
  À présent, il appartient à cette fleur,
  Sa propriétaire n'a pas changé de nom ;
  C'est toujours une rose.
  L'une à juste une lettre plus petite que l'autre,
  C'est l'unique différence.
  L'une peut être décrite dans un tout, l'autre ne peut être associée à une chose qui n'est elle même.
  Ses doigts quittèrent ses pétales, effleurant le nœud pâle qui entoure sa tige.
 
      Il l'avait regardée,
  Il avait deviné qu'elle dessinait,
  Il croyait qu'elle ne le savait pas.
  Elle l'avait vu. Elle savait ce qu'il écrivait.
  Elle le savait, parce que de tous, c'est le seul qui ne parle pas, le seul qui observe, le seul qui connaît la valeur de la langue. La chance de pouvoir l'utiliser, la chance d'être compris, celle d'avoir une identité, de pouvoir la dire et d'être compris ; le miracle de pouvoir exprimer ses pensées.
  Il est comme elle.
  Mais il choisissait de taire ses envies et ses plaintes,
  Il sait que parler ne sert à rien si la personne qui reçoit ses dires est volontairement sourde à la beauté des verbes.
  Elle se concentre sur sa lecture. La lumière de la lune éclaire ses pages jaunies par le temps.
  Son regard dérive vers un portrait posé sur sa table de chevet.
  Ils étaient revenus, il y a quelques années,
  Elle leur rendait visites toutes les semaines, comme toujours ;
  Elle leurs apportait des fleurs, comme chaque semaine ;
  Elle leurs souriait, comme chaque  dimanches, depuis bien avant le début du mois de mars.

      De toutes celles à qui elle apportent ses fleurs, ce sont les seules qui portent son nom.
 

SilencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant