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Elle se penche, ses doigts effleurent les pétales de cette fleur encore fermée, de cette fleur qui porte son nom. Elle l'observe, s'accroupit, laissant les extrémités de ses mains caresser cette beauté pourpre. C'est la première de l'année. D'autres se seraient empressé de la saisir, pour leur fianc5ou un bouquet de cuisine ; pas elle. Elle retire le ruban qui noue ses cheveux, le serre doucement autour de sa tige.
Il est blanc
Elle est rouge,
Il est doux
Et elle, pourvue d'épines.
C'est beau.
La beauté, un regard lui suffit. Pas besoin de la posséder, juste la remercier de l'avoir laissée l'admirer.
Elle se relève, regarde autour d'elle, personne.
Seulement deux roses au milieu du pré.

Elle ne sait pas qu'il est là, elle ne peut pas le voir, ne peut pas l'entendre.
Elle ne sait pas qu'il la regarde depuis sa fenêtre, comme toujours.
Elle ne sait pas qu'il veille sur ses fleurs, comme chaque semaine.
Elle ne sait pas qu'il observe la rose pousser au milieu du pré, comme chaque dimanche, depuis le début du mois de mars.

Une plume vient s'échouer sur le rebord de la fenêtre, s'envole ; retombe, vers elle.
Il la regarde chuter,
Elle la suit du regard.
Tend sa main vers le ciel pour essayer de l'attraper ; referme ses doigts, l'emprisonnant contre sa paume.
Son poing se baisse jusque ses lèvres, s'ouvre. Elle souffle, délicatement.
La plume repart, vite.
Elle la poursuit, accélère, s'arrête.
Sourit.
Rebrousse chemin, s'en va.
La plume retombe, à côté de la rose ;
Suit l'autre, s'arrête.
Le vent la fait repartir de son côté.

Il sourit, la regardant s'éloigner à travers le verre transparent de la fenêtre. Il se dirige vers son bureau, sort un carnet de l'un des trois tiroirs ; trempe sa plume dans l'encre, écrit.
Immobilise son geste, on a appelé son prénom.
Il reprend.
S'arrête à nouveau, on l'a appelé encore une fois, plus fermement.
Il se lève, descend les marches, rapidement.
Il doit aller à l'église comme toujours,
Il posera des fleurs sur les tombes qui portent son nom, comme chaque semaine ;
Et il veillera sur celles des oubliées comme chaque dimanche, depuis le début du mois de mars.

Elle arrive, ses pieds nus foulent l'herbe encore humide qui borde le chemin ; le vent berce doucement ses cheveux sans attache.
Elle a perdu son ruban, encore.
Ou bien l'a-t-elle offert ?
Mais à qui ?
Peut-être une fleur.
Il la regarde se rapprocher, elle sourit.
Oui ; c'était une fleur.
Elle lui tend son panier ; il est plein, elle doit revenir du marché.
Il sourit.
La porte s'ouvre,
Elle disparaît à l'intérieurde la ferme.
La porte reste ouverte.
Il fait beau.
Elle ne dit rien,
Elle n'a jamais rien dit.

SilencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant