Chapitre 8

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J-96

Aux alentours de 7 heures, Amélie se réveilla en sursaut, comme après un cauchemar.

— Non, dit-elle à voix haute assise au milieu du lit les yeux encore gonflés de sommeil. On ne dit pas à quelqu'un qu'on ne connaît pas « Ce n'est pas de votre faute s'il est mort », même si l'on est ivre ou qu'on meurt de faim. Non. Ce n'est pas le genre de chose qu'on balance comme ça aux gens.

Prise d'une soudaine envie de retourner le monde, elle rejeta ses draps à l'autre bout du lit. Raselhanout la regardait sans exprimer la moindre émotion. Lorsqu'elle passe près de lui, il s'enfuit en courant vers la cuisine. On ne se mettait pas en travers d'une tornade, pas même lorsque l'on s'appelait Raselhanout.

Elle s'habilla de la même façon que la veille sans prendre le temps de se doucher, jeta dans un sac deux culottes et un t-shirt, prit le chat sous le bras, et sonna chez la voisine.

— Bonjour madame Rapsolli, excusez-moi de vous déranger une nouvelle fois, mais... pourriez-vous garder Raselhanout pour une ou deux nuits de plus s'il vous plaît ? J'ai une urgence que je dois régler au plus vite.

Johana Rapsolli venait de perdre son poste d'assistante dans un cabinet d'expert-comptable où elle avait dû traiter avec des hommes qui tiraient leur seule puissance de la taille de leur portefeuille, des as de la roublardise, des requins mesquins et peu scrupuleux. En somme, elle était la gardienne parfaite pour Raselhanout.

Malgré l'heure matinale, elle était déjà tirée à quatre épingles : tailleur et coiffure des grands évènements, collants noirs satinés, petites chaussures vernies... Elle mettait un point d'honneur à garder ses habitudes vestimentaires du bureau, « sans quoi, j'ai peur de devenir un fossile du chômage », disait-elle.

— Chérie, dit-elle d'une voix auréolée de sommeil. J'adore votre chat, vraiment. Et ça ne me ferait rien de le garder encore deux jours. Seulement, hier...

— Qu'est-ce qu'il a fait ? Il a cassé quelque chose ?

— Non, non, il n'a pas fait de bêtise, il a même été très mignon. C'est par rapport à Jérôme.

— Jérôme ?

— Oui, Jérôme, mon dog allemand.

Amélie avait déjà croisé une ou deux fois le grand chien gris dans les escaliers, suivi par sa maîtresse qui paraissait alors toute petite à côté de lui. Elle le soupçonnait d'être responsable de la forte odeur d'urine imprégnée sur le mur près de la porte d'entrée de l'immeuble.

— Je crois qu'ils ne s'entendent plus, dit Johana sur le ton de la confidence. Votre chat Rasmel... Raseklam...

— Raselhanout, comme les épices.

— Oui, voilà. Raser-l'mammouth. Eh bien hier, votre chat ne semblait pas dans de bonnes dispositions pour jouer avec mon Jérôme. Quand il s'en est approché, votre chat a gonflé comme une baudruche et a tenté de l'éborgner. Il lui a laissé une sacrée balafre, vous savez. J'ai dû le désinfecter à la Biseptine pendant près d'un quart d'heure. Depuis, mon Jérôme reste cloîtré dans le coin de la chambre. Il ne mange plus.

Amélie sourit malgré elle à l'idée de voir un vieux chat terroriser un chien géant.

— Je suis vraiment navrée, mais je ne vais pas pouvoir le garder aujourd'hui. Peut-être dans quelques jours, quand Jérôme se sera remis de son traumatisme.

Amélie n'insista pas. Elle s'excusa auprès de la voisine pour les désagréments et retourna dans son appartement au pas de course. Elle logea Raselhanout dans sa caisse de transport qu'elle déposa ensuite dans sa voiture sur le siège passager. Elle boucla sa ceinture et prit la route sous le regard inquisiteur du vieux matou.

Direction : la pointe du Roselier, Saint-Brieuc.

Au feu rouge, à l'intersection entre la rue du Président Wilson et la rue Louis Rouquier, une Skoda mal garée occupait deux places de parking. Au volant, une conductrice fatiguée ; elle n'avait pas dormi de la nuit. Sonia regardait partir Amélie. Non contente de dormir tranquillement le jour de l'anniversaire de la mort de son mari, se dit Sonia dont la haine fut exacerbée par le manque de sommeil, elle se prend des vacances. Elle va certainement fêter ça quelque part. Après tout, lorsqu'on s'extirpe aussi facilement des mailles de la police, lorsqu'on échappe à la justice qui, décidément, est bien aveugle, alors...

On frappa au carreau. Un vieil homme se tenait penché du côté passager et regardait vers elle.

— Vous pourriez avancer votre voiture s'il vous plaît ? J'aimerais me garer derrière vous.

Sonia abaissa la fenêtre et, sans rien dire, lui adressa un doigt d'honneur. Elle referma la vitre aussitôt et démarra. Aujourd'hui, fallait pas l'emmerder.  

Tombé des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant