La plus belle de la soirée

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On pense qu'on s'habitue à tout, à la longue, mais en fait, certaines choses restent ancrées, et rongent de l'intérieur, jusqu'à trouver un moyen de sortir... Et généralement, quand ça sort, ça n'est pas beau à voir...

Prenons l'histoire de Mélanie.

Mélanie est l'exemple type du vilain petit canard.

Enfant, elle était pâle, un peu ronde, les cheveux noirs, raides, impossibles à coiffer s'ils étaient un peu trop longs, donc la coupe courte à la garçonne était une obligation.

Pas très grande, une intelligence normale, gentille, amie avec ceux qui l'acceptaient, mais loin d'être la fille populaire de sa classe que les garçons pourchassaient pendant la récréation pour lui voler un bisou sur la joue...

Mais Mélanie a aussi été l'exemple type du miracle de la puberté.

Ses rondeurs ont disparu lorsqu'elle a poussé droit vers le ciel et que ses hanches se sont dessinées, ses cheveux ont commencé à prendre une belle ondulation qui lui permit de laisser pousser pour avoir de belles anglaises tout en longueur.

Sa peau pâlotte est devenue ivoire sous ses cheveux ébène, lui donnant un faux air de fragilité, contrebalancé par ses yeux perçants.

Mélanie pensait être habituée à ne pas être la plus jolie, mais quand son corps a commencé à changer et que le regard des garçons s'est porté plus vers elle que vers ses copines, elle s'est rendu compte à quel point elle voulait ce regard. À quel point elle était en manque de reconnaissance, d'admiration ! C'était futile, mais vital pour elle maintenant. Plus jamais elle ne serait la plus laide, la plus petite, la plus ronde. À partir de maintenant, elle voulait être la plus belle ! C'était une promesse qu'elle s'était faite quand elle a eu quatorze ans, quand elle a réalisé à quel point elle avait changé, quand elle a accepté que ce changement fût certainement définitif, et qu'elle ne serait plus la vilaine gentille fille.

Et Mélanie a grandi, s'est embellie, a pris soin de sa peau et de son corps (peut-être au détriment de son intellect, mais ce n'est pas moi qui la blâmerai).

Sauf que la vie n'est pas un conte. La vie, ce n'est pas "le vilain petit canard devient un magnifique cygne et tout le monde l'admira, il vécut heureux sous les vivats de la foule en délire, fin.". La vie, la vraie, c'est qu'il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. C'est qu'elle était peut-être dix fois plus belle qu'étant enfant, il y en aura toujours une plus jolie. Plus intéressante qu'elle. Plus attirante. Mélanie avait beau être jolie, elle n'était pas La Plus Jolie.

Mais elle avait l'habitude... Elle avait grandi avec ces compagnons de classe, leur regard avait certes changé, mais ils restaient les mêmes garçons qui ne la pourchassaient pas, elles étaient les mêmes filles qui la laissaient dans son coin. Elle a gardé cette habitude de ne pas être la plus regardée. Cette pointe de douleur, elle en avait fait son dû. Elle la rangeait dans un coin de sa mémoire et passait outre, continuait sa vie, parce qu'il faut bien continuer de vivre. Et que ce n'est pas une pointe (ou mille) de douleur qui peut empêcher de vivre...

Et Mélanie a continué de vivre. A continué de prendre soin d'elle, parce que la vie ne s'arrête pas à dix-huit ans, au contraire.

A la majorité, on commence à vivre. On quitte le nid familial pour poursuivre ses études. On rencontre de nouvelles personnes, des personnes qui n'ont pas connu le vilain petit canard, des personnes qui peuvent être ébahies par sa beauté.

Et Mélanie comptait bien là-dessus. Elle voulait, pour une fois, être La Plus Belle.

Elle avait décidé de faire des études de communication. Elle voulait devenir journaliste, présenter le journal télévisé, être à l'antenne tous les jours, sous les feux des projecteurs...

La plus belle de la soiréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant