"Non! Lâchez-moi!"
Personne n'écoutait ses cris
"Tout mais pas ça! S'il vous plaît..."
Sa voix cassée gémissait pitoyablement ses plaintes désespérées. La seule chose qu'on leur avait ordonnée, c'était de se débarrasser de lui. Que le monde entier l'oublie. Il était un obstacle, trop intelligent, trop rebelle, trop dérangeant.
Ils le traînaient impitoyablement jusqu'au fin fond du palais malgré ses faibles mouvements de débat, ignorant le bruit de ses lourdes chaînes cliquetant sur la pierre lissée par les pas, qui devenait de plus en plus rêche à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les lieux les moins fréquentés du palais.
Sa respiration s'accélérait en constatant avec effroi que son destin était inéluctable. Il était beaucoup trop affaibli par ses mois d'isolement et affamement pour pouvoir se débattre. Ses pieds frottaient douloureusement le sol, éraflant un peu plus sa peau crasseuse, lorsque ses geôliers le tiraient un peu trop brusquement. Il peinait à les suivre. Il ne voulait pas les suivre.
Les larmes qui perlaient au coin de ses yeux sillonnèrent ses joues, chassées par d'autres, des dizaines d'autres. Il ne regrettait pas ses actes, non, il n'avait fait que respecter ses valeurs et se battre pour tous les opprimés de ce royaume. Il regrettait seulement la perfidité et l'avidité de ceux qui étaient censés gouverner et protéger.
Ils arrivèrent rapidement vers une porte en chêne massif. Les gardes durent le lâcher momentanément, ayant besoin d'être deux pour l'ouvrir. Il tangua légèrement, songeant un instant à s'enfuir, mais pour combien de temps? Le poids des menottes le ralentiraient et il avait à peine assez de force pour rester debout sans la poigne qui l'enserrait jusqu'alors. Tout ce temps sans voir la lumière du jour lui avait volé son espoir.
La porte enfin ouverte, il distingua les marches qui s'enfonçaient dans le noir, dernier rempart entre lui et son funeste sort.
"P-pitié..."
Ses geôliers se saisirent à nouveau de ses bras, agacés de ses vaines protestations, mais porté par une bouffée d'adrénaline soudaine, il ne bougea pas. Il avait l'impression d'étouffer, sans pouvoir relâcher sa respiration, les yeux écarquillés.
Il ne méritait pas son sort, mais les soldats n'en avaient cure. Enfermés dans leur peur de devenir un jour celui qu'ils condamnaient, ils avaient oublié la notion même d'injustice, et restaient aveugle à sa détresse. La parole du roi est force de Loi.
Irrités de la résistance incongrue de leur prisonnier, l'un d'eux saisit brusquement la chaîne reliant ses poignets et le tira vers les marches, causant à celui-ci de trébucher une énième fois, et de s'emmêler les pieds dans cette chaîne, si lourde.
Sans même qu'ils n'aient une once de tentative de le retenir, il chuta la tête la première dans cet escalier inégal. Dans un réflexe primaire, il parvint à protéger son visage de ses mains, mais cela ne l'empêcha pas de ressentir une vive douleur aux bras avant de rouler jusqu'en bas, s'enfonçant dans les ténèbres.
Il papillonna des yeux, la tête lourde. Une douleur sourde pulsait dans son crâne. Sa respiration levait des nuages de poussière devant lui. Il tenta de se relever, mais retomba misérablement dans un gémissement lorsqu'il bougea sa cheville gauche. Elle n'avait pas été épargnée par sa chute.
Des rires gras résonnèrent au-dessus de lui.
Les gardes, non satisfaits d'en finir avec lui, cherchaient délibérément à l'humilier, lui faire du mal, à l'enfoncer plus bas que terre. Ce n'était qu'une question de temps.
Des pieds apparurent devant ses yeux, et il sentit son corps se faire porter un peu plus loin. Le monde tournait autour de lui et une soudaine nausée le pris. Il n'avait jamais été aussi bas, incapable de se défendre, recouvert de sueur et de crasse mélangée à du sang, des larmes.
Un crissement désagréable agressa ses tympans. Une grille était tirée.
Placé au bord du vide lui faisant dos, il eut une dernière vision de ses geôliers. Il le reconnu alors. C'était celui qui hantait ses pires cauchemars. Celui qui, sans aucun scrupule, avait causé la perte de sa seule famille. Il avait suffit d'un seul manquement à la dîme, et il revoyait en boucle les flammes, les cris, les poutres qui tombaient dans un fracas démesuré. Pas un seul villageois n'avait daigné les aider, conscients de l'ostracisme dont ils étaient victimes. Ils ne voulaient pas être les prochains.
Au début, la colère avait envahi son esprit, mais il avait su se montrer fort, pour honorer la mémoire de ses proches, et les venger en apportant justice à tous ceux qui subissaient le même sort qu'eux. Il avait en place publique, et à multiples reprises, dénoncé ce gouvernement corrompu et mis en lumière toutes ses victimes innocentes, beaucoup plus nombreuses qu'il ne le pensait.
Malheureusement, la peur les empêcher de se rallier à sa cause, et il ne pouvait qu'espérer qu'un jour, les sujets de ce royaume s'uniraient pour le bien commun et la liberté.
En voyant la haine dans son regard, le geôlier parut troublé. Il n'avait sans doute pas imaginé que ses actions avaient des conséquences. Le voici à présent devant celui à qui il avait tout pris quelques années auparavant, suivant encore et toujours les ordres. Mais cela ne dura qu'un instant presque imperceptible avant qu'un rictus satisfait ne déforme le coin de ses lèvres. Abject.
"Adieu, Kim Taehyung."
On se revoit en enfer, pensa-t-il
Il lâcha sa chemise de lin, le laissant sombrer dans l'abysse qui paraissait sans fond.
Un froissement de tissu.
Puis plus un bruit.
La chute lui paraissait interminable.
Est-ce ainsi qu'il allait mourir?
Ce serait un doux sort comparé à la survie dans cette antre de noirceur sans aucune issue.
Le regard résigné, il ferma les yeux et inspira une dernière fois.