CHAPITRE UN

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Me voilà en train de soigneusement suivre les démarches d'inscription, à rentrer mon nom, prénom, adresse, numéro de téléphone... Tout juste s'il ne faut pas que je donne mon numéro de sécurité sociale et mon justificatif de domicile. Et puis, il s'affiche sur mon écran en grandes lettres capitales rouge rosé : "Votre inscription est terminée, à vous de croquer !". J'ai envie de partir en courant et de brûler mon téléphone pour effacer toute trace. Mais c'est fait, et ce n'est qu'un premier pas de franchi, alors je clique sur "continuer". Mon stress s'intensifie, à mesure que je fais défiler un, deux, trois, quatre garçons. Ils paraissent tous d'une accessibilité presque illégitime. Le brouhaha est tellement intense dans ma tête et mon corps que je n'entends même plus désormais le petit Enzo, le gamin de l'immeuble d'en face qui joue et crie dans la rue. Je décide enfin de me lancer et je matche avec un garçon. Il a mis une photo de lui en haut d'une montagne, en tenue de randonnée, le sourire jusqu'aux oreilles et une belle tête de vainqueur. Je me demande vraiment pourquoi je l'ai matché...

C'est vendredi soir, j'ai 18 ans et la pression de coucher avec un mec est de plus en plus accablante. Beaucoup de mes amies ont déjà été en couple. Je me souviens tout particulièrement d'être au collège, assise passivement avec mes camarades, sur le même banc, et observer cette amie qui avait une facilité débordante pour flirter avec les garçons, vagabonder entre tous ceux qui étaient à ses pieds, rigoler à gorge déployée, s'amuser et surtout les séduire. Je l'ai toujours enviée. Moi, les garçons ne faisaient que se moquer de moi avec mes longs cheveux roux et bouclés. Ils aimaient m'appeler Toupou puisqu'elle aussi avait de longs cheveux roux. Il s'agissait d'un dessin animé dont le personnage principal était une orpheline qui vivait dans Central Park. Ça m'énervait tellement, je devenais presque folle de rage.

Quelques minutes plus tard, sans avoir quitté ses yeux cette application, je reçois un message du garçon que j'ai matché.

-Hey, comment ça va ?

Sincèrement, il vient de flinguer d'un revers de main toute prémisse d'une éventuelle relation. Mais je dois faire un effort, alors, je lui réponds.

-Ça va, et toi ?

-Oui. Tu fais quoi ?

Bon, il a gagné, je lâche l'affaire. Au fur et à mesure que le temps passe et que les profils défilent, mes exigences s'estompent. Là où je prenais en compte leur photo, leur localisation, leur métier et leur biographie, je ne regarde, à présent, que leur photo. Le slogan qui m'avait fait rire prend tout son sens : "Pour tous celles et ceux qui sont à croquer". Les "like" se multiplient et ma boîte de messages déborde. Je réalise une présélection inconsciente par laquelle je réponds qui consiste à répondre uniquement à ceux pour qui je n'éprouve pas de dégoût. Certains postent leurs photos torse nu ou en position suggestive, et ça me met profondément mal à l'aise. Je suis happée par le concept de l'application et presque trop occupée pour avoir le temps de manger. L'appel du profil suivant est toujours plus fort que l'envie de fermer Hapom', la tentation du : "Un de plus !" est insoutenable. Je fais connaissance avec plein de garçons, je ne prends même pas la peine de retenir leur prénom, je me fie uniquement à leur photo de profil. Tout à coup, les clefs dans la serrure me tirent de ma rêverie. La porte est juste à côté de moi, dans le salon qui fait office de cuisine, de porte d'entrée et... de salle à manger. C'est Amélie, ma sœur, qui rentre. Je ne lui ai pas encore parlé de mon nouveau "projet" et je n'ai pas envie qu'elle le sache maintenant. Alors, je verrouille mon téléphone, me lève et jette mon téléphone sur le canapé au-dessus de mon épaule. J'attends bêtement qu'elle ouvre la porte, dans la pièce commune, celle qui a la même utilité qu'un couteau suisse.

-SAALUUT ! lui dis-je faussement enjouée. Alors ta soirée, je lui demande, alors qu'elle traverse le salon ?

-Salut, ma beauté ! C'était super. Je ne suis pas allée voir les filles en fin de compte.

Tu seras ma plus belle histoire d'AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant