Pardonne Moi

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Je pars à la recherche de la vérité, de ma mémoire perdue et de la femme que j'aime. Je veux me battre pour la reconquérir, ne pas lui faire de faux espoirs, être sincère tout simplement. Alors je m'accroche à ce fil invisible qui me relie à toi Lolita comme si j'étais face à une montagne immense qu'il fallait gravir à la seule force de mes doigts. Ce flic m'a montré la voie pour être heureux, il m'a fait comprendre que même un dernier de cordée comme moi, a une chance d'atteindre ses rêves. Il est temps de nous remémorer notre avenir comme si nous l'avions déjà vécu, pour le bâtir encore plus beau, montrer notre écrin, faire chavirer nos destins et puis s'aimer. Peu importe comment, le plus fort sera le mieux.

J'avance un sac de voyage sur l'épaule avec un air absent, en cherchant ma place dans l'avion. Je me faufile entre les passagers stressés et les familles décomposées. J'arrive enfin jusqu'à mon siège, dans la partie arrière de la carlingue. Une hôtesse s'occupe de mon bagage avec un faux sourire qui colle parfaitement à la froideur de son visage. Je m'installe en vissant mon casque Beats sur mes oreilles avec les rythmes électros de Röyksopp et Lykke Li. Mes yeux se ferment en attendant le décollage. C'est souvent comme ça quand le cerveau sature et que les émotions sont trop fortes. Il n'y a que dans le sommeil que je me régénère. « Were you ever wanted» (as-tu déjà voulu), cette phrase qui se répète en boucle dans ma tête me rappelle tout le mal que je t'ai fait Lolita, par ma lâcheté, mon manque d'implication et surtout d'avoir oublié d'être fou, de ne pas t'avoir fait assez danser, rire et chanter. Tu étais ce bouquet de fleur que j'ai caché dans la pénombre alors qu'il avait tellement besoin de lumière.
« On ne partage pas sa vie avec quelqu'un parce qu'il est gentil, mais parce qu'il vous fait vibrer, rire, parce qu'il vous emporte sans vous retenir.» (1)

Marc Levy avait raison, ce doit être ça le choix d'une vie de couple. J'ai bien conscience de tout ça, tu sais. L'homme que j'étais devait être d'un ennui, comme si je m'étais enfermé dans un rôle qui n'était pas le mien. La folie, la surprise, l'imagination, c'est tout ce qu'il faut dans un couple pour maintenir l'émoi des premiers jours. Sauf que parfois on oublie pourquoi on s'est aimé, on regarde les heures passées devant une série télé. On ose même plus se prendre la main, posé sa tête l'une contre l'autre avec tendresse. L'amour est une flamme capricieuse qui peut disparaître comme ça sans qu'il y ait vraiment besoin d'un cyclone, juste dans l'absence d'un regard ou dans le quotidien meurtrier, celui qui nous fait oublier parfois qu'aimer et être aimé est la plus belle chance qu'on ait sur cette terre.

Je t'ai déçue jusqu'à ce point de non-retour. Mes chances de te retrouver sont quasi nulles, je ne me fais pas d'illusion. Et pourtant mon « Jiminy Cricket » me dit que même s'il n'y a qu'une seule chance, il faut la tenter. Ma petite voix intérieur ne s'est jamais trompée. Elle a toujours été ce guide fidèle même quand tu es partie, il était là pour m'empêcher de tendre la corde, de ne jamais presser la détente car personne ne sait de quoi demain sera fait. Chaque jour est une surprise, un soleil qui se lève et parfois même un vent violent qui chasse les nuages dans le ciel. Notre destin est imprévisible. Alors oui, il y aura encore des bas dans nos vies, mais il y aura surtout des hauts, il y aura des fou-rires, du plaisir et des soirs de mambo, tu peux me croire, j'en fais serment.

Je monte le son de mon téléphone sur le beat de fin et la voix de Likke Ly et je m'endors sans même voir qu'à trois rangées derrière moi, Lolita vient de clipser sa ceinture de sécurité, la capuche de son pull posée sur ses cheveux blonds. Elle a une émotion dans son regard qui ne ment pas et des larmes sur ses joues quand elle me regarde. Elle sait très bien qu'elle n'est qu'à un pas de bouleverser sa vie.

Le commissaire Schumann dépose un baiser sur les cheveux de sa femme en la déposant dans son lit avec délicatesse et amour, comme une poudre d'or qu'un courant d'air pourrait faire fuir. Par chance, elle n'a pas l'air de souffrir. Une infirmière a l'habitude de passer chaque jour en fin de journée pour la soigner, il sera toujours temps d'envisager son transfert à l'hôpital, pour une levée de doute ou tout au plus une radio de contrôle. Il a tellement peur de la perdre que sans s'en rendre compte, il l'a enfermée dans son tombeau d'appartement, sa pyramide à elle. Il a déjà tout tenter pour la sauver mais le pronostique des médecins n'est pas bon. La dégénérescence des cellules est proactive, elle pourrait partir en quelques jours, sans avoir le temps de dire adieu aux gens qu'elle aime. Il part s'isoler dans l'alcôve sombre du balcon, le temps d'allumer un cigarillo à la pointe d'une allumette. Il a l'œil noir des mauvais jours, la pâleur et l'horreur gravés sur son visage. Il crache la fumée dans la nuit, elle s'évapore dans le froid et les bruits de la ville. Il tremble à chaque bouffée, impatient, insolent quand son téléphone se met soudain à vibrer. Il tire une dernière latte en jetant le mégot dans le vide comme une pauvre âme qui tombe de haut.

– Vous avez essayé de m'appeler ?
– Il rentre sur Paris. Ce soir. Il sera sur le vol de 17h32 par la Lufthansa. Il devrait atterrir à Charles de Gaulle vers 19h.
– Je vais prévenir mes hommes. Nous vous en serons reconnaissant.
– Je compte sur vous Docteur Forbes, tout ça c'est pour ma femme que je le fais. Je suis un homme intègre vous savez. Mais je ne serai rien sans elle. Vous êtes certain que vous pourrez la sauver ?
– Je vous ai donné ma parole commissaire, elle vivra. C'est bien ce que vous m'aviez demandé.
– Oui.
– Ne vous occupez plus de rien à présent, c'est moi qui reviendrais vers vous.
– Quand ?
– Bientôt.

Forbes raccroche dans une froideur effrayante, laissant le commissaire Schumann face à ses doutes et ses remords. Au même moment, un téléphone se met à sonner dans l'appartement avec la musique de Mission Impossible. On dirait qu'elle vient du cadavre allongé sur la moquette du salon. Schumann reste sans respirer, il s'avance lentement vers cet inconnu et sort de la veste en cuir, un IPhone XR noir. L'écran indique un appel manqué. Le téléphone sonne à nouveau. Schumann fixe effrayé ce nom qui s'affiche, The Matador, un numéro, celui du professeur Forbes. Les deux mains dans l'engrenage, il sait déjà qu'il est déjà trop tard et que les lâches n'ont pas toujours le même visage.


(1) Extrait d'Une autre idée du bonheur par Marc Levy

Un Cercle de CraieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant