Vox Draconian

Chap. 1

Un été particulièrement ardent. Une sécheresse éreintante. Du bétail et des habitants mourants. Ezarel essuya son front couvert de sueur tandis qu'il réfléchissait aux problèmes auxquels son peuple était confronté, depuis les trois derniers mois. La météo n'avait jamais vraiment été clémente, aux abords du Mont Crâne. C'était d'ailleurs pour cela que la montagne abritait avant toutes choses d'innombrables espèces carnivores, telles que manticores, reptiles ailés, fées vampires – adorables petites créatures de prime abord, jusqu'au moment où elles vous acculez par centaines pour vous vider de votre sang... Des carnassiers voraces. Mais résistants aussi. Les températures élevées ne leur avaient jamais posé le moindre souci, et ne le devaient pas plus aujourd'hui. Ils pouvaient se contenter de l'eau contenue dans les corps de leurs proies. C'était amplement suffisant.

Une chance que n'avait pas le peuple d'Hodeval.

Et cette canicule, mille fois pire qu'elle ne le fut jamais, commençait à avoir des répercussions dramatiques sur l'ensemble de la population. Le jeune prince soupira. Il ne savait ce qu'il se passait sous le manteau de la montagne, mais depuis peu, la roche était devenue plus chaude. Quelques incendies se déclaraient ci et là et bien vite, le peu de verdure qui tapissait les flans était partie en fumée. N'en restait que des arbres morts, calcinés, desséchés, et les quelques rares bosquets qui jusque-là rendaient la vue particulièrement agréable ne renvoyaient plus qu'un message de mort.

Parfois même, tant il y faisait chaud, des volutes de fumée s'échappaient du sommet de la montagne, formant des nuages étouffants. On ne comptait plus le nombre de personnes qui en étaient tombées malades. Ni celles d'ailleurs, qui avaient fini par décéder. La faim. La soif. Le manque d'air. Peut-être aussi l'anxiété. Trop de facteurs qui rendaient la situation plus critique à chaque instant.

Alors, Ezarel avait décidé d'agir. Après quelques semaines à attendre que les choses s'améliorent d'elles-mêmes, il lui semblait évident qu'il ne restait plus qu'à partir. Un exil, sans doute temporaire. Tout du moins, l'espérait-il. Et sa principale inquiétude était d'enfin parvenir à convaincre son père le roi.

Un espèce de vieil homme bourru. Borné. Imbuvable même, quand il y réfléchissait. Le roi Dolan Von Ergo, cinquième du nom, avait après tout de bonnes raisons d'être imbu de sa personne, compte tenu de son héritage. La lignée royale remontait si loin dans le temps qu'Ezarel n'avait même jamais vu l'arbre généalogique complet de sa famille. Leurs richesses et biens matériels pouvaient faire pâlir bien d'autres monarques et surtout, l'armée du royaume valait dix fois celles des pays voisins. Dolan raillait souvent du fait qu'il était probablement « le seigneur le plus puissant au monde » ; et le pire selon son fils, c'est qu'il avait sûrement raison. Mais si leur légitimité au trône n'avait jamais été contestée, il y avait un point sur lequel Ezarel ne s'était jamais leurré : ils étaient haïs.

Une haine qui prenait, depuis le début de la sécheresse, une ampleur démesurée. Et le prince comprenait bien pourquoi. Ici au château, tout était comme d'ordinaire, si ce n'était que l'on mourait tout de même de chaud. Les victuailles pullulaient sur la table. Fruits, pains, vin, céréales. La famille royale ne manquait de rien. Et se bâfrait tandis qu'au dehors, le peuple pouvait s'entretuer rien que pour un grain de raisin. Des courageux s'étaient d'ailleurs amassés autour des grilles qui entouraient le château. Jetaient leurs déjections, crachaient leur rage et tentaient même parfois d'embrocher, au travers des grilles, les quelques gardes qui tenaient encore bon. Il était inconcevable pour Ezarel que son père puisse encore être sourd à une telle détresse.

Et pourtant...

Loin d'être inquiet, le vieux roi était vautré à longueur de journée sur son trône exubérant, riant d'entendre que ses hommes s'étaient encore pris des salves de crottin dans la figure.