Chapitre 1

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Il n'y avait pas grand monde ce soir-là au Blue Hamilton. La tempête de neige qui s'abattait sur New York dissuadait même les plus courageux de s'aventurer dehors, ce qui expliquait sans doute le silence inhabituel qui planait dans le bar. Sély était assise près de la baie vitrée, d'où on avait habituellement une vue dégagée sur l'entrée de Central Park qui avait été décorée de guirlandes lumineuses pour les fêtes de fin d'année. Pourtant, mis à part quelques scintillements flous, elle ne pouvait pas distinguer grand-chose à travers la vitre embuée. C'est pour cela qu'elle s'était tournée vers la salle.

Peu de clients emplissaient les lieux. Un homme jouait aux fléchettes en solitaire tandis qu'une femme sirotait un verre de Chardonnay tout en profitant du silence qui régnait dans la pièce. Les routes étant bloquées par la neige, tous jouissaient de n'entendre aucun moteur gronder dans les rues. C'était tellement calme qu'on pouvait se croire dans un autre monde, ou à une époque antérieure grâce à la décoration vintage du Blue Hamilton. Les banquettes en cuir rouges commençaient à s'user sous les tables vernies blanches mais cela n'enlevait rien au charme de cet endroit. Le bar était illuminé par des néons bleus et au mur étaient accrochées d'anciennes guitares électriques, ainsi que de nombreux posters de pin-up et de groupes de rock qui complétaient la décoration.

Sély regardait avec intérêt les glaçons qui s'entrechoquaient dans son verre, au milieu du liquide brun qu'il contenait. Chaque jour c'était la même rengaine. D'abord elle se levait sur les coups de 6h afin de se rendre à l'université pour suivre ses cours de droit. Une fois sa journée de cours achevée, elle s'enfermait dans les toilettes publiques près de son lieu de travail pour se changer et passer cette vulgaire jupe noire trop courte et sa chemise blanche qu'elle ne parvenait pas à boutonner jusqu'au col tant elle était serrée. 

De 18h jusqu'à 22h30 elle devait servir des hamburgers, des frites, des sodas, et même des salades pour ceux qui ne semblaient pas comprendre le concept d'un fast-food. L'endroit où elle travaillait se trouvait dans un quartier principalement fréquenté par des hommes d'affaires pétés de tunes, voilà pourquoi le patron insistait pour que les serveuses portent un uniforme qu'il qualifiait de « correct ». La blague, c'est juste une excuse trouvée par ce gros dégueulasse pour pouvoir se rincer l'œil sans recevoir de plaintes. Sély  enrageait dès qu'elle surprenait cet enfoiré en train de lorgner son décolleté ou celui de ses collègues. Puis, vers 23h, elle se rendait dans ce bar pour boire un whisky, le regard tourné soit vers le parc, soit vers son verre qui se vidait trop rapidement à son goût.


Quand elle avala sa dernière gorgée, Sély se rendit compte que les aiguilles de sa montre n'avaient tourné que très lentement. Désespérée, elle soupira longuement en attrapant son sac qui contenait ses affaires de la journée. Une fois son travail au fast-food terminé, elle n'avait plus la force de se changer, donc elle restait dans son uniforme jusqu'à son retour chez elle. 

Sély se leva de la banquette rouge sur laquelle elle était assise depuis presque une heure avant de fouiller dans la poche de sa jupe à la recherche d'un billet de dix dollars qu'elle laissa sur la table. Une employée du Pub passa à côté d'elle avec son plateau et la gratifia d'un sourire que Sély lui rendit poliment. Entre serveuses, il fallait bien se soutenir. En la voyant sortir de l'établissement, le patron se racla la gorge afin de l'interpeller.

- Sély, tu devrais te couvrir un peu. Ce n'est pas la saison pour porter des p'tites jupettes et des talons !

- Ne t'inquiètes donc pas Will, j'ai une santé de fer ! lui répondit-elle en lui adressant un petit geste de la main.

Elle l'entendit soupirer alors que la porte se refermait entre eux. Une fois dehors, Sély remonta la fermeture éclair du sweat qui lui servait de manteau et ne prêta pas attention à la dégaine qu'elle avait avec sa mini-jupe en jersey, ses talons aiguilles et sa grosse veste rouge brique à capuche beaucoup trop large pour elle. Pourtant, même fagotée ainsi elle restait une très jolie fille. Sa taille fine, son mètre soixante-quinze, sa peau blanche comme de la porcelaine, ses longs cheveux noirs et ses grands yeux verts ornés d'une épaisse rangée de cils faisaient d'elle une femme à la beauté envoutante. 

Bloody Dream  ~ Tome 1 ~ L'éclosionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant