Chapitre sept

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Une place dans mon coeur


Nous sommes en mars 2021. L'hiver touche à sa fin et je profite de mes heures de pause pour me balader. Le décès de Seada et les difficultés de Sultan à se relever m'ont appris à profiter de la vie, à lever la tête de mes cahiers. Je pensais qu'une telle tragédie m'allait m'enfermer dans le travail, plus de révisions, plus d'espagnol, plus d'anglais, de nouvelles traductions peut-être. Au contraire, j'ai arrêté d'aller à l'auto-école et je passe presque tout mon temps dehors. Il m'arrive de suivre les cours en ligne dans le parc du toboggan bleu et de m'en distraire. En week-end, ce parc est rempli d'enfants tous plus agités les uns que les autres mais pendant les heures de cours il est d'un calme olympien. Sultan a gardé l'appartement de sa mère et j'y passe presque tout mon temps. Mes parents ne me disent rien mais je les entends parfois se demander ce que l'on fricote ensemble. J'ai mes affaires là-bas et j'y passe parfois la nuit. Ca a commencé un soir où Sultan m'a avoué qu'il faisait de plus en plus de cauchemars. Un masque qui étouffe sa mère, sa jambe qui lâche et la voici qui s'écroule au marché, son père qu'il n'a jamais vu en vrai lui chuchote « tu vois, tout le monde te laisse ». Je lui ai donc dis qu'il pouvait s'endormir à mes côtés et que je prendrai soin de lui pendant la nuit. Il s'est réveillé quatre fois, me réveillant par la même occasion, demandant « Ama, tu es là ? » et je répondais « oui », il se rendormait aussitôt. Ma mère m'a sermonné le lendemain. 

« — Que fait une jeune fille dans le lit d'un homme ?

— On faisait des siestes ensemble à deux ans.

— Vous n'êtes plus des bébés. »

J'ai balayé ses paroles d'un geste de la main et elle me l'a frappé avec sa cuillère en bois. Ca ne m'a pas fait mal, c'était juste un rappel pour mon insolence. Le soir elle s'est excusée, elle ne m'a pas habituée aux coups, et m'a demandé comment allait Sultan. Je lui ai parlé de ses cauchemars.

« — Tu pries pour lui ? »

J'ai hésité quelques secondes avant de secouer la tête. Je ne priais plus depuis le décès alors que j'y étais habituée depuis petite. J'avais tellement mal au coeur. Au début, j'essayais de me forcer mais je finissais toujours par m'excuser en disant que je n'y arrivais plus, que je ne comprenais pas pourquoi Il m'avait enlevé ma deuxième maman. Petit à petit, j'ai arrêté d'essayer.

« — Seul Dieu guérit un coeur meurtri. »

Elle a insisté pour qu'on prie ensemble mais à la mention de tante Seada, j'ai dû me retenir de pleurer à nouveau. C'était le mois dernier, je n'ai toujours pas repris la prière depuis. Il y a eu cette fois où j'ai croisé Inès à Franprix et qu'elle a menacé de m'éclater une bouteille de vin sur le crâne si je ne dégageais pas de son chemin. Elle avait les yeux rouges et j'avais peur de ce qu'elle pouvait faire alors j'ai prié pour qu'elle me laisse tranquille avant de m'enfuir du magasin. Je l'ai croisé deux jours plus tard en bas de chez nous et elle a rigolé.

« — Tu manges bien toi, hein. »

Elle insinuait que j'avais pris du poids et elle avait raison. Je m'en rendais compte mais n'ayant pas de balance chez moi, je ne pouvais pas mesurer l'ampleur. Je faisais 1m62 pour 63 kilos et cette prise de graisse se stockait dans mon ventre, je ne trouvais pas ça joli à voir. 

«   — Wesh t'avais pas un corps de mannequin avant toi ? Arrête les raclettes c'est bon là. » a rit Lamine un soir de janvier.

Contrairement à moi, Sultan faisait beaucoup de sport quand il n'était pas au travail ou dans mes bras. Il a pris du muscle et ses traits se sont raffermis, son dos semble plus large, ses bras sons plus épais, plus rassurants. Avant Sultan c'était juste le gars qui parlait beaucoup, qui connaissait tout le monde et que tout le monde connaissait. Maintenant, c'est le gars qui a perdu sa mère et qui se débrouille seul. C'est le gars avec qui tu ne veux pas t'embrouiller parce qu'il n'a « rien à perdre ». C'est ce que j'entends dire à la cité Soleil mais je sais que c'est faux. Cet évènement a aidé Sultan à prendre en maturité, les muscles on s'en fout. Il est devenu un homme, un vrai. Ce n'est plus celui qui était malhonnêtement curieux et qui suivait les grands dans toutes leurs aventures stupides. Il y réfléchit deux fois, cinq s'il le faut.

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