Année 1275, Brokilone, Duén Canell
Semant ses rayons d'or dans le champ noir de la nuit, le soleil s'élève peu à peu dans le ciel serein et caresse la canopée de la mythique Brokilone. Alors que les brumes matinales s'élèvent, les arbres accueillent l'astre solaire d'une lente et joyeuse sourdine, leur chant silencieux célèbre le départ des ténèbres et le retour de la lumière nourricière. Parmi tous les chanteurs de bois, nul n'émet une vibration plus profonde, plus vivante que les trois chênes étreints au centre de Duén Canell, la capitale des Dryades. Depuis des siècles, le Grand Arbre salue ainsi la venue du matin. Depuis des siècles, il est la demeure de la plus noble et de la plus fervente protectrice de Brokilone.
Mussée au creux des trois troncs du Grand Arbre, Eithné Oeil-d'Argent, la dernière reine des nymphes forestières du Nord, écoute le chant de la forêt comme chaque matin depuis des siècles. Assise en tailleur, elle laisse les mélopées du Grand Arbre et de ses frères la traverser, baignant dans ce chant sans mots. Nul ne peut comprendre les Dryades et leur dévotion aux forêts à moins d'avoir ressenti cette onde vivante vibrer au plus profond de son être.
Pourtant, aujourd'hui, la reine des Dryades peine à se laisser envahir par l'harmonie sylvestre, à s'immerger dans cette mélodie sourde des fibres et des feuilles. Les traits tirés, le corps tendu, elle tente de se décontracter et de faire le vide dans son âme afin d'y accueillir le chœur sylvestre dans sa plénitude. Hélas, son esprit agité ne la laisse pas en paix. Aujourd'hui est le jour.
Eithné se rappelle bien ce jour où cet étrange Aen Seidhe est arrivé à Duén Canell, la Place du Chêne, Brokilone n'oublie jamais. Ses filles l'avaient laisser passer, les elfes étant des alliés et mêmes des amis pour les Dryades, partageant leur amour profond pour la nature. Elle avait été curieuse de ce que pouvait bien vouloir un Érudit à Brokilone. Elle n'avait pas été déçue.
_Dame Eithné? Appelle une voix hésitante, Vous êtes levée, ma Dame?
Eithné se relève pour sortir, ses mains lissant machinalement les mèches rebelles de sa chevelure argentée. Près de l'entrée de sa demeure se tient une jeune dryade à la peau chlorophylle et à la chevelure couleur miel strié de discrètes mèches noires. La jeune fille danse d'un pied sur l'autre, ses mains bougent avec frénésie, s'empoignent et se tordent. Ses yeux regardent partout, scrutent le moindre détail comme une biche qui ne sait si elle doit détaler ou non. Quand elle constate la nudité de la reine, ses joues prennent une teinte plus sombre et elle détourne les yeux.
_Une dryade se lève toujours à l'aurore, Meiln, répond Eithné, Tu as quelque chose pour moi?
_O... oui, ma dame, hm, Dame... Fauve m'as envoyée vous chercher, elle a préparé un déjeuner pour vous près de l'affluent de la Vda. Elle... elle a dit que vous en auriez besoin aujourd'hui...
Entretemps, Eithné enfile une tunique, au grand soulagement de la jeune dryade, encore peu habituée aux mœurs libérées des nymphes des bois.
_Oui, aujourd'hui n'est pas ordinaire, ouvre la voie, Petite Abeille.
Triturant ses cheveux, Meiln regarde alentour avant de se rappeler que le surnom la désigne elle. Elle s'élance en avant, rapide et agile, la reine sur ses talons, à travers Duén Canell et en dehors. Pour un humain, le voyage au travers des fourrés et des hautes branches serait rapidement épuisant mais les dryades traversent le dédale vert aussi facilement qu'une rue pavé. Meiln s'arrête à un embranchement au sommet d'un grand arbre, plus très sûre de la route à suivre. Avec un sourire, Eithné s'avance pour lui indiquer la direction, suivant le hum familier et mystique de la forêt. Les joues vertes de Meiln s'assombrissent encore plus et elle repart de plus belle. Enfin, alors que le soleil s'élève de plus en plus dans le champ céleste, elles arrivent près d'une rivière peu profonde. Sur la rive et dans l'eau se trouvent déjà plusieurs nymphes procédant à leur propre toilette sous la surveillance de sentinelles perchés dans les arbres, guettant les dangers tapis dans l'ombre des fourrés. Parmi elles, s'ébattent leurs cousines à la peau bleue et aux mains palmés, les Naïades. Sur les rochers et les branches basses, les farfadets, petits lutins bedonnants, dansent et jouent du violoncelle, insouciants et oublieux de l'endroit où ils se trouvent.
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Vaer aén Birke - The Witcher
FantasíaDepuis le Débarquement, il y a 500 ans, les Races Anciennes étouffent peu à peu sous la domination humaine. Calened, le Sage Voyageur, sait que son peuple est condamné à une lente extinction sans son aide. Machinant dans l'ombre depuis des années et...