Chapitre 3

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Dis Pater

Comme tous les matins, mon réveil sonne à sept heures précises.
Comme tous les matins, je m'étonne d'être encore en vie.

Une lointaine mélodie se rappelle soudain à moi. Je la fredonne. Ma voix, à la tonalité lugubre, récite les deux dernières phrases d'un refrain que je ne connais que trop bien.

-Diable et archanges, tous se vengent.

Il semble que ma carcasse ne mérite pas leur vendetta.

D'un soupir affligé, je scrute le plafond à la recherche de la moindre faille, de la moindre anomalie qui pourrait venir bouleverser ma sempiternelle routine.

Mais il n'y a rien de tel.

La peinture blanche demeure aussi inviolée que le reste de l'appartement à l'organisation méticuleuse.

Les draps rejetés, je m'assois au bord du lit et pose un pied l'un après l'autre au sol, dans cet ordre absurde choisi par ce que les enfants de l'orphelinat nommaient mes « bizarreries ».

Droite puis gauche.
À la gauche du Diable. À la droite du Père.

Rasséréné par la fraîcheur glaciale du carrelage, je me lève et me dirige vers la salle de bain située en face de ma chambre.

Douze pas exactement.
Je les compte, je me maudis. Je continue.

Ce contrôle imposé par mon esprit est le seul moyen pour ne pas me disloquer dans cette réalité. Si je n'avais pas ce rituel pour contenir mes pensées tourmentées, je serais sûrement figé sur mon balcon. À lorgner le vide, l'infini qui me tendrait les bras dix mètres plus bas.

Pourtant un jour, je le sais, je chuterai. Je le sens, du plus profond de mes entrailles putrides. Et ce jour-là, personne ne sera là pour me retenir.

Peut-être qu'elle le voudrait.

Je chasse cette idée bien trop séduisante et presse l'interrupteur de la salle de bain. Une lumière vive digne d'un bloc opératoire m'accueille de son halo aseptisé.

Patient ou chirurgien, quel rôle mon corps choisira-t-il aujourd'hui ?

Des démangeaisons insoutenables prolifèrent aussitôt sur ma peau diaphane. Je contemple mon épiderme à la recherche du moindre insecte, du moindre intrus qui pourrait expliquer cette soudaine irritation.

Mais il n'y a rien de tel.

Mes bras rendus presque à sang par mes doigts aux ongles courts, j'ouvre le tiroir et observe la pierre ponce.

Chirurgien, donc.

Avec précaution, je la pose sur le rebord de l'évier et retire mon pyjama. L'un après l'autre, t-shirt et short viennent se plier à ma volonté sur l'étagère. Pas un seul ourlet disgracieux, pas un seul drapé froissé.

Satisfait, j'entre dans la baignoire, m'empare de la pierre et commence ma purification. Agenouillé contre la faïence blafarde, je frotte la roche poreuse sur mon corps frigorifié par ce matin gelé.

Habituellement, le rituel demanderait à ce que ma peau soit humidifiée afin de faciliter l'exfoliation.

Pas le mien.

La douleur, la souffrance. Les deux uniques émotions que je connaisse depuis l'enfance. Les deux seules que je souhaite chérir.

Par des mouvements secs et rapides, j'écorche mon enveloppe jusqu'à la sentir rougir de plaisir. Toujours dans le même sens, toujours avec la même violence. Les bras, le torse, les cuisses, les pieds. Seul le visage est épargné.

Dis PaterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant