Chapitre premier

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Conty, octobre 1939.

Il faisait beau. Nous étions en novembre et le temps aurait dû s'acharner. Il aurait dû pleuvoir, des bourrasques de vent auraient dû s'abattre sur nous pauvres mortels. Mais il n'en était rien. Il avait fait doux cette journée là. Le soleil était revenu malgré les nuages menaçants qui le cernait. Le vent était léger et dépourvu de sa fraîcheur habituelle, la météo se jouait de nous.

Je portais un gros chandail noir par-dessus ma robe de la même couleur. Depuis l'annonce de sa mort, je ne cessais de frissonner, ma chair de poule ne me quittait jamais. J'avais les yeux injectés de sang. La fatigue, la douleur et les larmes me les avaient asséchés. Je n'avais pas versé une larme de toute la cérémonie.

Finalement, cette fichue maladie avait eu raison d'elle. Elle lui avait volé ses dernières heures d'une vie heureuse et prospère.

J'avais la gorge nouée et je n'étais que capable de fixer la tombe qui allait être mise en terre. Ma grand-mère allait y être ensevelie pour l'éternité.

Mon grand-père, quand à lui, était presque invisible. Son chapeau à rebords cachait ses yeux filés de larmes, des larmes de souffrance. Mes parents étaient là eux aussi, elle pleurait elle aussi. Je ne comprenais pas qu'elle puisse pleurer la mort d'un parent qu'elle haïssait tant.

Il y avait aussi une bonne partie des habitants de Conty, quelques connaissances venant de Longfort et d'autres apparentés venant de plus loin encore. Ils ne la connaissaient pas. Ils ne l'aimaient pas. Ils n'avaient pas le droit de partager ma peine et celle de mon grand-père. Ils n'avaient pas le droit, je voulais qu'ils partent loin de là.

J'avais envie de hurler, de leur dire de ficher le camp, qu'ils n'avaient jamais été là pour ma grand-mère et qu'ils ne lui avaient apporté que des soucis.

Mais je n'en fis rien, je ne fis pas d'escarmouche et je me tins dignement jusqu'à la fin pour la mémoire de ma grand-mère. Elle aurait détesté cela de son vivant.

Je n'avais pas pu la voir dans ses derniers instants. Notre dernière entrevue remontait au mois d'août, sa maladie ne semblait pas encore si grave. Elle arrivait encore à se déplacer seule, même si sa cane la suivait partout et elle n'avait pas perdu sa joie de vie qui faisait d'elle le bout-en-train qu'elle était.

Le curé acheva sa prière et nous fîmes tous le signe de croix.

Elle allait au moins être enterrée dans ce coin de paradis, cet endroit qu'elle avait fait renaître, entretenu et pris soin de longues années durant. Elle allait reposer à l'abri du vent, sous un arbre dont elle adorait les fruits sucrés l'été, et non loin d'un parterre de fleurs qui fleuriraient le printemps venu.

J'aurais voulu sourire, mais la vie avait subitement perdu de ses couleurs.

Je considéra le ciel un moment à la recherche d'une apparition divine. Un rai lumineux, un nuage étrange, un signe, n'importe lequel. Rien ne vint. Même mon imagination ne parvenait pas à se convaincre que son âme avait rejoint un monde meilleur.

Ce fut la dernière prière que j'adressais à Dieu. Il avait tout emporté avec lui, tout ce à quoi je tenais.

Paris à feu et à sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant