2

107 12 4
                                    

Bressaï et Bresca appelèrent leur plus grand fils, qui était, comme son père, noir aux yeux bleus, Idaho. Leur second, un loup brun aux yeux marron, fut appelé Iowa, leur troisième, gris aux yeux bleus, s'appela Lowah, le dernier fils, qui était comme le second, mis à part qu'il avait les yeux bleus, fut nommé Kayle. La femelle fut appelée Iéna, en souvenir d'une louve blanche d'un conte folklorique des ancêtres de Bressaï.

Dès qu'il fut présenté à la Meute, Idaho fut choisi par tous comme étant le prochain dominant ; c'était, déjà, un louveteau fort, très impliqué, et qui aimait être au centre de l'intention. Les membres de le Meute l'éduquaient en priorité, et nul ne doutait qu'il ne parvînt à devenir le dominant. Les trois autres mâles de la portée étaient plus sauvages, plus bagarreurs, et prenaient plus de risques ; la Meute n'avait pas confiance en eux. Idaho était déjà plus autoritaire, plus responsable, plus protecteur. La petite Iéna, elle, avait l'air fragile, faible. Et la Meute haïssait les loups faibles. Iéna devait se faire une place dans la hiérarchie de la Meute, s'affirmer. Elle devait prendre du poids et des muscles, défendre sa nourriture, montrer les crocs. Montrer qu'elle était la digne fille de Bressaï et de Bresca.

Les semaines passèrent comme dans un rêve ; tout était flou. Les quatre mâles devenaient de plus en plus populaires, tandis qu'Iéna était proie aux jalousies quand à sa magnifique fourrure blanche, et n'arrivait pas souvent à piquer un peu de nourriture pendant que les adultes mangeaient. Idaho était en avance sur ses frères partout ; mais aucun d'entre eux ne savait mieux devenir humain qu'Iéna. Elle était plus rapide, prenait forme humaine plus facilement. Quelques fois, quand ses frères jouaient à se battre avec elle, et qu'elle n'avait aucune chance de gagner, elle devenait humaine et courait après eux en rigolant, tandis qu'ils glapissaient de terreur. Seul Idaho s'approchait d'elle quand elle était une jolie petite humaine, et quelques fois, il lui arrivait de lui lécher la main, ou de se coucher près d'elle et de la laisser poser sa tête sur lui et qu'elle le caresse. Il avait l'air d'adorer cela, d'ailleurs. Il était curieux de savoir si les tous les humains étaient comme sa sœur, aussi maigres, et aussi gentils.

Quelques fois il lui arrivait de s'approcher d'un village, et de voir des petits humains jouer. Il avait vu, une fois, un adulte frapper un petit, seulement parce que l'enfant avait fait tomber un bâton sur le pied de l'homme... Idaho en avait donc conclu que les mâles adultes étaient méchants, les femelles adultes protectrices envers leurs petits, et que les petits pouvaient être effrontés comme apeurés.

Iéna, qui s'approcha de son frère, lui mit un coup d'épaule dans le flanc et lui fit signe que la Meute allait chasser, et que pour la première fois, les cinq jeunes loups pouvaient venir s'ils le désiraient, puisqu'ils étaient maintenant âgés de près d'un an. Idaho acquiesça, et suivit sa sœur vers la plaine où devait se réunir la Meute.
Après avoir exposé la stratégie de chasse aux cinq jeunes loups, Bressaï choisit d'aller chasser dans les bois. Idaho était du côté gauche, Iéna du côté droit, derrière le gros de la Meute. Ils s'avançaient en position rapprochée, sans faire le moindre bruit, flairant les odeurs qu'avaient laissées les animaux qui étaient passés par là pas longtemps auparavant. Ce fut Iéna qui flaira la première l'odeur d'un gros herbivore, et ce fut Idaho qui trouva les traces du cerf. La Meute suivit les empreintes jusqu'à un bosquet, où était cachée la proie. Les loups encerclèrent le buisson, et ils attendirent que le cerf sorte pour le prendre par surprise. L'animal avait flairé le danger, et levé la tête en agitant férocement les bois, comme s'il voulait effrayer les prédateurs. Iéna, qui était derrière lui, n'allait pas laisser passer sa chance : elle sauta sur l'arrière-train du cerf en le mordant. Bressaï, profitant de cette diversion, sauta au cou de l'animal et l'égorgea. La bête poussa un cri étranglé, et se retrouva par terre, avec quinze loups sur elle.

Quelques heures après, les loups, le ventre plein et la gueule en sang, étaient retournés se reposer à la tanière. Les lois de la Meute voulaient qu'il y ait tout le temps un loup sous forme humaine et armé d'un bâton acéré qui fasse le guet, et que ce loup soit remplacé toutes les deux heures. Mais cette semaine là, c'était la semaine de la pleine lune. Les hommes-loups ne pouvaient être sous forme humaine tant que la pleine lune était visible. Seule Iéna pouvait résister à son charme, alors ce fut elle que monta la garde, rejointe quelque fois par un de ses frères ou par son père.

Cette nuit-là, donc, Iéna monta au sommet d'un grand pin, armée de sa lance improvisée. Elle regarda au loin. La forêt était magnifique la nuit. Le bruit des grillons, celui des crapauds copulant gaiement... Les lucioles tournoyant lentement dans le ciel formaient par moment des images très jolies quand on avait de l'imagination. Les chouettes et autres animaux nocturnes sortaient de leurs cachettes pour aller brouter ou chasser. Iéna voyait les lumières des dizaines de villages alentours. Elle était souvent attirée par la vie humaine. Après tout, elle aussi pouvait être humaine quand elle le voulait !

Nouvelle LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant