Nouvelle Lune

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Idaho était mort... Iéna et les siens le savaient, mais ils n'arrivaient pas à l'accepter. Pourtant ils durent rapidement se remettre de cette épreuve. Ils durent décider qui remplacerait Idaho au centre de la meute, et pour cette tâche fut choisi Iowa le Solitaire. Iéna de son côté ne pouvait plus supporter de vivre dans un endroit où l'odeur du défunt était partout, son côté humain restant toujours très actif même sous forme de louve. Les autres membres de la meute ressentaient une vague peine, alors qu'elle, ce qu'elle ressentait, c'était de la vraie douleur. Chaque soir elle hurlait pour Idaho, pour que du haut des étoiles il sache qu'elle ne l'oubliait pas.

Un jour enfin, ne supportant plus de vivre avec l'odeur de son frère partout, Iéna la louve blanche prit une décision. Elle allait quitter la meute. Vivre autre part, loin de toutes ces odeurs qui lui donnaient mal au crâne. Elle ne savait pas où aller, mais elle s'en allait.

Elle choisit une nuit d'automne, trois semaines pile après la mort de son frère. Cette nuit là, elle réveilla sa mère, prit sa forme humaine, et Bresca en fit de même. Iéna lui parla, lui expliqua. Bresca lui sourit, la prit dans ses bras, et lui jura qu'elle serait toujours la bienvenue dans la meute. Iéna reprit sa forme canine, sentit une dernière fois l'odeur de la meute, et partit en galopant vers l'Est, où elle avait plus de chance de trouver quelque chose à faire de sa vie. Quelques kilomètres après avoir quitté sa meute, elle arrêta de courir et opta pour marcher. Son souffle était court, ses pattes tremblaient, sa langue pendait mollement sur le côté de sa bouche. Elle s'arrêta au pied d'un arbre tricentenaire, se coucha au creux de ses racines tièdes, et s'endormit profondément, sans même savoir qu'elle était sur le territoire d'une meute de l'Ohio. Quand elle se réveilla, Iéna se sentit menacée. Deux jeunes loups se tenaient à trois mètres d'elle, les oreilles baissées, les babines retroussées,  crampés sur leurs pattes pour être plus impressionnants... Hélas pour eux, qui étaient de simples loups, Iéna savait se défendre. Et de manière bien plus terrifiante. Elle se leva, retroussa les babines, plaqua ses oreilles sur le crâne, et se mit à grogner, aussi féroce que l'était son frère Idaho. Elle courba l'échine, et s'avança vers les deux loups. Elle en mordit un sans douceur à l'oreille. Ils se plaquèrent immédiatement au sol en signe de soumission. La jeune louve blanche relâcha la pression, et s'enfuit en galopant, toujours vers l'est. Elle s'installa pour quelque temps dans une forêt de Pennsylvanie. Là, elle apprit la chasse en solitaire, les endroits qu'il ne fallait pas fréquenter pour ne pas se faire remarquer par les chasseurs, mais surtout elle apprit la solitude. Au début ça lui fit un bien fou, lui permettant de lentement oublier la douleur d'avoir perdu Idaho et les siens, mais très vite cette solitude lui pesa. Elle avait besoin de compagnie. Sans doute était-ce son côté humain qui ressortait, mais elle ne voulait plus vivre sous forme canine. Elle avait de fabuleux espoirs en l'humanité, et même si la plupart se révèleraient infondés, elle voulait y croire.

Son changement d'état allait se faire bien plus tôt qu'elle ne le pensait. Cela se passa un jour où elle était occupée à manger un faon qu'elle venait de tuer. Depuis qu'elle avait quitté la meute, elle avait pris du poids (elle mangeait beaucoup) et des muscles (elle courait beaucoup aussi). Elle était une magnifique louve pleine de santé, de force et de vitalité. De plus, le fait qu'elle soit intimement rattachée à son elle humain faisait que même sous forme canine elle restait étrangement intelligente, contrairement aux autres homme-loup qui eux avaient un instinct animal sous toutes les formes. 

Ce jour-là donc, Iéna avait tué un faon et était en train de le déguster avec appétit, devant la tanière qu'elle avait creusé auprès d'un ruisseau. Concentrée à déchiqueter la chair entre ses crocs aiguisés, elle n'avait pas entendu le bruit qui aurait pourtant dû la faire abandonner son repas. Elle eut un magnifique réflexe quand le coup de feu partit : elle s'aplatit au sol. La balle pourtant la percuta à l'épaule, mais pas à la tête comme elle aurait dû. Iéna jappa de douleur, se mit à galoper aussi vite que possible. Son épaule la faisait terriblement souffrir, à chaque fois que sa patte effleurait le sol elle ressentait une immense vague de douleur envahir tout son corps. Poussée par l'envie de vivre et par l'adrénaline d'être pour la première fois de sa vie une proie, elle ne sentait pas le sang couler le long de sa patte, tâcher sa belle fourrure auparavant immaculée.

Sans même s'en rendre compte elle s'était dirigée vers un village voisin. Elle s'arrêta, épuisée, derrière un buisson bordant la route menant audit village. Mue par un instinct à toute épreuve, elle utilisa ses dernières forces pour se changer en femme. Elle ne put même pas réaliser la gravité de ses blessures, car elle sombra dans l'inconscience, au milieu des herbes jaunes et des feuilles mortes.