5

67 7 0
                                    

Quand Iéna se réveilla, elle était couchée sur un lit de paille, enroulée dans de fines couvertures en laine. Elle avait affreusement mal à l'épaule gauche, elle entreprit donc de voir sa blessure... C'était une grosse croûte en voie de cicatrisation. Iéna eut un frisson en comprenant qu'elle ne devait la vie qu'à celui ou celle qui l'avait soignée.
Une haute silhouette entra dans la pièce, alors la jeune femme-louve fit semblant de dormir. Iéna remarqua que cette personne pesait lourd car ses pas étaient bruyants. Elle sentit le lit de paille s'affaisser ; elle retint son souffle en se crispant.
Elle entendit un petit rire.
"Si vous voulez faire semblant de dormir, faites-le bien au moins."
Iéna ouvrit les yeux, non sans avoir été éblouie par l'étrange clarté. Elle regarda l'Homme et eu un mouvement de recul. Ses souvenirs remontèrent à la surface. Cet homme, c'était le chasseur qui avait failli la tuer! Son instinct animal voulut prendre le dessus, elle voulait prendre sa forme canine pour lui grogner dessus et pourquoi pas le mordre à la gorge pour qu'il se vide de son sang. Mais elle ne fit rien. Elle se contenta de le regarder dans les yeux en essayant de l'intimider. Le chasseur s'assit sur le lit et avança la main vers elle. Elle tressaillit et recula, jusqu'à ce qu'elle soit contre le mur et ne puisse plus reculer. Il soupira et dit:
"Il faut juste que je vérifie l'état de votre plaie. Montrez-moi votre épaule."
Iéna hésita.
"Vous me comprenez au moins quand je parle?
- Oui, murmura Iéna d'une voix cassée.
- Puis-je connaître votre nom?
- On m'appelle Iéna.
- C'est un très beau nom.
Iéna se détendit au fur et à mesure qu'elle parlait à l'humain. Elle se tourna en baissant sa tunique sur l'épaule pour qu'il puisse la soigner. Il posa ses mains calleuses sur sa peau douce, nettoya la plaie qu'il avait lui-même causé, et remit un bandage autour de l'épaule d'Iéna.
"Vous savez, Iéna, qu'il existe des créatures étranges en ce monde?
Iéna ne put se retenir de frissonner. Elle avait très bien compris le sous-entendu.
- De quelles créatures parlez-vous?
- Des hommes-loup, pardi. Je ne savais point qu'il existait des femmes-loup, quoi que c'est logique quand on y pense.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez."
Iéna remit sa tunique sur son épaule d'un geste violent en grimaçant légèrement quand le tissu toucha sa plaie. Elle essaya de se lever, mais, hélas, elle était bien trop faible. Elle poussa un hoquet de surprise et tomba sur le lit.
"Ne vous inquiétez pas. Je ne veux pas vous faire de mal.
- Vous ne vous êtes pas fait prier, chasseur, rétorqua Iéna.
- C'était le seul moyen pour ne pas me faire dévorer. Comment auriez-vous voulu que je prouve votre existence si je ne vous voyais pas moi-même?
- Vous avez essayé de me tuer, c'est tout ce que je retiens."
Le chasseur voulut se justifier, mais rien n'y faisait : Iéna restait muette. Pour se faire pardonner, il lui emmena un lapin mort qu'il avait tué le matin même. Elle sentit le sang de l'animal, eut envie de plonger sa truffe dans la chair encore tiède... Elle devint une louve sans s'en rendre compte. Elle s'approcha, méfiante, du chasseur, et attrappa le lapin avant de sortir dehors avec. Elle commença à mordre avidement dans la viande, ses babines se recouvrant de sang. Une fois l'avoir dévoré, elle se lécha les babines.
Elle reprit forme humaine, et retourna dans son lit.
"Pourquoi voulez-vous prouver notre existence au monde?
- On me prend pour un fou. Dans mon village, je dis que les homme-loup existent, pourtant personne ne me croit...
- Pourquoi croyez-vous que nous nous cachons? Nous ne voulons pas que notre existence soit divulguée au monde entier. Nous sommes à moitié loup, est-ce que vous comprenez cela? Si on nous chasse nous deviendrons agressifs. Les gens nous prendront pour des monstres, ils voudront nous tuer. Vous voulez notre mort.
- Non! Bien sûr que non! Je vous trouve fantastiques!
- Et puis d'abord, comment avez-vous appris notre existence?
- C'est une longue histoire que je n'aime pas raconter.
Le visage du chasseur s'assombrit. Iéna voulut le briser encore plus. Après tout, c'est lui qui avait failli la tuer.
- Elle vous a fait mal, n'est-ce pas? Elle a dû vous briser le cœur quand elle vous a quitté.
- Il.
Iéna fronça les sourcils. "Il" ?
- Votre frère? demanda-t-elle.
- Non. Mon amant.
Iéna se mit à rire.
- C'est vrai que vous, prémitifs et sauvages animaux, vous ne connaissez que le concept mâle/femelle.
- Vous copuliez avec un mâle? C'est impossible!
- Quoi qu'il en soit... cet homme m'a un jour montré sa forme canine. Et j'ai trouvé cela beau. Beau et terrifiant à la fois. Puis, il est parti et n'est jamais revenu. Cela m'a brisé le cœur...
- Hum. Ça n'est pas dans le cours des choses de copuler avec un mâle, c'est normal qu'il vous ait quitté. Et puis, quand on est un homme et qu'on aime un homme, c'est contraire à la nature.
- Vous ne pouvez pas comprendre, vous n'êtes qu'une louve."
Iéna allait dire autre chose, mais elle s'abstint en croisant le regard du chasseur. Elle soupira.
"Auriez-vous de l'eau? Je meurs de soif."
Le chasseur hocha la tête et alla dans le coin de la pièce qui lui servait de cuisine. Il prit un gobelet en fer vide qu'il remplit d'eau, auparavant contenue dans un seau en bois. Il regarda la femme-loup qui examinait sa chaumière. Il eut un sourire en coin. Il leva le bras, et attrappa de la poudre rouge sur l'étagère. Il en laissa tomber une bonne quantité dans le gobelet. Il allait prouver l'existence de la louve au monde entier, et pour cela, rien de tel que de la montrer au seigneur des seigneurs, le Roi.
La louve but la coupe d'une traite, eut un sourire un peu niais. L'opium mettrait quelque temps à agir, il allait profiter de ce temps pour en apprendre plus sur elle.
"Iéna, pouvez-vous me raconter votre vie?
- Pour que vous la divulguiez aux quatre coins du monde? Non merci.
- Cela restera entre nous, je vous le jure. Que je sois damné et puni dans les flammes de l'enfer si je romps ma promesse."

Nouvelle LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant