Prologue

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MAËLLE

— Écoute, je sais que c'est du grand n'importe quoi, mais s'il te plaît, accepte ma proposition. Dis oui.

Je le fixais et le détaillais sans me cacher, totalement incrédule face à sa demande. Je n'avais plus échangé avec lui depuis si longtemps et le voilà qui me demandait cela. Toute personne sensée dirait probablement non, mais je n'étais pas sensée. Pas lorsqu'il s'agissait de lui, même après tout ce temps.

Je me souviens de notre rencontre, comme si c'était hier et non des années. Il y a des choses de notre enfance dont on ne se souvient pas. Cela dépend des personnes, bien sûr, de notre âge également. Je ne me rappelle pas la perte de ma première dent, ni même de ma première maîtresse. J'ai de temps à autre, comme vous, je pense, des flashs qui me reviennent en tête, des fragments du passé qui défilent sous mes yeux, après avoir été en contact avec un élément déclencheur. Pourtant, ma rencontre avec lui restera à jamais gravée dans ma mémoire.

— Maëlle, chérie, sois gentille s'il te plaît, me supplia papa. Écoute-moi.

— Pourquoi ? Tu es méchant ! Et maman aussi !

— Je sais que tu es triste, mais c'est pour le mieux, ma puce. Il vaut parfois mieux que les choses se passent ainsi.

Papa avait beau me répéter cent fois la même phrase depuis une semaine, je ne comprenais toujours pas en quoi la situation actuelle était meilleure. En quoi avoir son père d'un côté et sa mère de l'autre, s'avérait mieux ? On ne mangerait plus ensemble, tous les trois devant la télé. Papa ne pourrait plus me lire mon histoire du soir, tous les jours. Je devrais peut-être même changer d'école... Voilà dans les grandes lignes ce que je me disais à l'époque du divorce de mes parents.

— On peut rendre visite à mamie ? J'ai envie de la voir.

— Nous allons vivre quelque temps avec elle, donc tu auras tout le loisir de la voir, chérie.

C'est alors ce que nous avons fait, les bras de papa chargés de valise et moi avec mon petit sac sur le dos. Je me revois en train de ranger mes affaires, quand d'un coup une ombre passa sous mes yeux. En m'approchant de la fenêtre, j'aperçus à quelques mètres plus loin, un garçon, debout devant le petit cours d'eau. Je ne le voyais que de dos, se tenant bien droit, un caillou dans sa main droite. On aurait dit qu'il s'apprêtait à le jeter pour jouer à faire des ricochets. Dès que nous rendions visite à ma grand-mère, nous nous empressions, papa et moi, de ramasser les plus beaux cailloux en vue d'un concours de ricochets. Je décidais de ce fait d'abandonner ma tâche et de le rejoindre.

— Bonjour ! criais-je gaiement.

Je le fis sursauter malgré moi, en m'annonçant ainsi. Il se retourna alors, la main sur le cœur, comme pour arrêter les battements qui pulsaient dans sa cage thoracique. Le mien s'emballa d'ailleurs soudainement, lorsqu'il se retourna.

Je n'avais encore jamais vu un garçon comme lui. À vrai dire, je n'avais jamais réellement regardé les garçons. Je n'avais que des amies à l'école. Nous jouions toujours de notre côté et les garçons de l'autre. Quand bien même, je ne les fréquentais pas, je savais, non, j'étais certaine qu'aucun d'entre eux ne lui ressemblait. Des cheveux noir corbeau, comme ceux de Blanche-neige, lui encadraient le visage et certaines de ses mèches, lui tombaient même sur les yeux. Il était plus grand que moi en taille, mais semblait avoir le même âge que le mien, enfin, c'était l'impression que j'avais. Il n'y avait rien de spécial ou de particulier chez lui, cependant quelque chose dans son regard me captivait. Malgré des mèches récalcitrantes, j'arrivais à voir la couleur de ses yeux. Du marron chocolat au lait, comme celui que j'aimais croquer. Que j'aime toujours d'ailleurs. J'avais l'impression de ne plus pouvoir respirer. Est-ce que c'était normal pour une petite fille de mon âge ? Je ne pense pas. En tout cas, cela ne m'était encore jamais arrivé. Mes pieds étaient ancrés au sol et tout ce que je prévoyais de lui dire avait disparu de mon esprit.

— Lut' ! Tu es qui ?

Malgré sa façon un peu brusque de me parler, je me pris à aimer le son de sa voix. Encore une fois, jamais, ô grand jamais, comme disait mamie, je n'avais prêté attention à la voix que pouvait avoir un garçon. Mais pour lui, mes repères se bousculaient.

— Je suis Maëlle, la petite-fille de la dame qui habite là, répondis-je en désignant la maison derrière moi. Je ne t'avais encore jamais vu.

— Pareil.

— Tu viens souvent ? Nous non, mais maintenant oui ! m'exclamais-je soudainement heureuse à l'idée d'habiter ici et de le revoir.

— Mon papi habite à côté. Je viens ici tous les week-ends.

Il me répondait, mais il avait l'air de vouloir s'enfuir très loin de moi. Tout dans sa gestuelle l'indiquait. Il s'était déplacé de quelques pas vers la maison et fuyait même mon regard. Je ne comprenais pas pourquoi ma présence semblait le déranger, mais ce que je savais en revanche, c'est que je souhaitais qu'il reste. Je voulais qu'il continue de me parler. C'était une sensation étrange. J'avais à la fois l'estomac noué et en même temps le cœur qui s'emballait.

— Je vais y aller. Au revoir.

Sans que je ne sache comment, je parcourus la distance entre nous pour lui attraper le poignet, pour le retenir.

— Attends ! Ne pars pas, s'il te plaît.

— Mon papi m'attend.

— Tu pourrais jouer un peu avec moi. J'ai un ballon dans mes affaires. On pourrait jouer à se faire des passes dans le jardin ? Dis oui.

Je me souviens qu'il souffla fortement avant de secouer la tête à la négative. Je relâchais alors ma prise sur lui, la poitrine serrée d'une incompréhensible tristesse.

— Ok, mais pas trop longtemps !

Je bondis littéralement de joie et courus récupérer mon ballon.

— Ne cours pas dans la maison comme ça, Maëlle, me dit mon père.

Je connaissais les règles, mais je craignais trop que mon nouvel ami ne change d'avis.

— Me revoilà ! m'écrirais-je soulagée de voir qu'il n'avait pas bougé. Au fait, tu t'appelles comment ?

— Evan.

Evan...Je me repassais plusieurs fois son prénom dans ma tête, comme pour mieux le retenir. Toi et moi, on va devenir de super amis. Voilà ce que je pensais, mais je me trompais. Mon cœur lui avait décidé qu'il ne se contenterait pas d'une simple amitié.

— D'accord, accepté-je en mettant fin au silence dans lequel je nous avais plongé. J'accepte.

Il m'est arrivé de songer vaguement à lui, en de rares occasions, durant toutes ces années. J'en étais même arrivé à un point, où il n'existait plus vraiment dans mon monde. Mais vous savez ce que l'on dit sur le premier amour. On ne peut jamais l'oublier et pour lui, j'étais prête à tout.

Un peu plus chaque jour (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant