J'étire mes bras derrière mon dos: muscles qui saillent, langue qui se délie, peau qui se détend. Je suis un accordéon désaccordé qui rit aux larmes de désespoir.
" Je promets que je n'essaierai pas de t'embrasser."
Il m'a dit ça hier comme si j'étais devant lui pour bavarder. Les mots sont habituellement mon arme. Âme mélancolique, stupidement romantique qui se laisse dévergonder dans des assonances dissonances crevées qui donnent un sens aux mots écrevisses. Il m'a dit ça hier pour me déconcentrer, je crois, pour que j'arrête d'observer les effluves carbonées de sa moustache, pour que je ne regarde pas les constellations roses qui maculent ses joues, pour que je ne me concentre pas sur les vallées de ses lèvres. Roses, rouges comme le sang qui battait dans mes tempes.
Le temps s'était éclipsé comme pour me rappeler que je n'étais qu'un morceau de poésie brisé. Sa main avait effleuré ma hanche, sa cuisse était glissée contre moi et ses doigts s'emmêlaient dans mes cheveux. Je promets que je n'essaierai pas de t'embrasser. Sa peau était brûlante. Flamme écrasée contre les vers éradiqués. Je promets que je n'essaierai pas de t'embrasser. Pourtant ses lèvres avaient glissé le long de ma mâchoire, entraînant une vague de sensations-souvenirs: la braise de la cigarette, le sang d'une plaie béante, la douleur acide si âpre qu'elle en devient édifiante, plaisante. Ses lèvres s'étaient posées sur ma joue avec douceur: cerise qui tombe sur la langue sous le ciel d'été, bleu comme la rivière qui coule entre les prés. Ses mains s'étaient enfoncées dans ma chair: il me pétrissait. J'étais la pâte, il était le cuisinier. Puis, enfin, il m'avait dégusté. Sa bouche contre la mienne était le couteau enfoncé dans la chair. Douloureux mais enivrant: poésie macabre devenue érotique. Je promets que je n'essaierai pas de t'embrasser. Il ne m'avait pas embrassé mais embrasé. J'étais la cendre et lui le pétard, et maintenant je pouvais imploser.
Les vestiges de mon âme-écrevisse s'étirent au rythme des souvenirs de la veille. Ma tête cogne ( elle se brise, se rompt, se roue de coups, elle devient marteau-piqueur, mare tôt pique coeur, elle se déroge se dérobe s'interroge se dérange). Que ça sorte! Que ce monstre visqueux sorte de ma tête, qu'il s'y dérobe se déroge s'empale s'empalote dans une pièce palotte. Je suis épuisé mais je n'ai pas fini de puiser dans le puits des souvenirs. Je pense à ses mains sur mes hanches, ses boucles qui tombent sur mon visage, son sourire en coin ( un arc à la corde tendue), enivrante danse des corps. Je pense à son rire rauque, je pense aux notes amassées sur le bureau, je pense aux feuilles gisant sur le sol, je pense à ses yeux rieurs, je pense à mon dos pressé contre le mur, puis le bois de sa table, puis le mou de son lit. Je pense à son corps au-dessus du mien, le drap voile-de-bateau. Je pense à la houleuse mer qui battait contre ma cage thoracique. Je pense à ses doigts. Je promets que je n'essaierai pas de t'embraser.
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ISAAC
RomanceL'amour est une malediction langoureuse Dédié à celui qui ne me lis plus depuis longtemps. Les mots ne suffisent plus