La pulsion créatrice me pousse à sortir d'entre mes draps. Il fait chaud. J'ai chaud. Pourtant sur mes vitres est marqué l'hiver. Givre. Âpre mélancolie cristallisée. Nuages effarouchés. Soleil tamisé. Je heurte le sol avec une violence presque brutale ( carrément brutale même. Sanglante. Marquante. Le choc résonne dans tout mon corps. Mes jambes me disent: pourquoi, pourquoi tant de force dans la détermination. Ma tête me dit: si je ne m'élance pas avec force dans la vie, je ne peux pas survivre la journée. Ma gorge est serrée et étroite, comme le chemin derrière l'école. Irrespirable oxygène.) Je m'étire de plus belle. Ma rotule craque, je crois que mes doigts sont bloqués dans cette ivresse de création. Je m'élance vers mon bureau, maculé d'un désordre créateur. J'attrape une feuille. Vite. Si j'attends je vais oublier. Si j'oublie je ne peux créer. Si je ne vomis pas mon art je vais m'auto-détruire. Si je ne rejette pas l'intériorité, l'extime va brûler. Si je ne recrache pas mon coeur il va exploser. Si si si si si si. Les traits de crayon battent la feuille jusqu'à la déchirer. Je ne m'arrête pas. La déchirure devient conséquence forme recadrée: maintenant elle est voulue, maintenant elle appartient au portrait. Un crâne, un squelette, des yeux, un orbite béant, le sang bleu, les mains. Un ensemble abracadabrant, ressemblant étrangement à un ange biblique. Je recrache le fond de mon âme pourpre sur le papier bleu. Cri cri cri cri cri crise. Je ne peux m'arrêter sans penser que l'oxygène va oxyder mes poumons. Mes poumons métalliques mon sang rhétorique ma peau en orbite. Une fois mes péchés expiés, j'expire et je me redresse. Mon dos est circulaire et ma peau arbitrairement rafraîchie. Je me lève, je m'étire: mes omoplates forment les mains de Dieu qui me replace dans la lignée humaine. Maintenant ma tête est droite et mes épaules en arrière. Je ferme les yeux: je vois des couleurs danser, virevoltant. 

J'ai presque déjà envie de retourner me coucher, mais un message sur mon téléphone m'en empêche. C'est lui.

> Finalement, je suis content de t'avoir embrassé

J'attrape mon portable à une vitesse inouïe. La léthargie post-art (post-apocalypse) s'éclipse aussitôt. Une voix au fond de moi me crie que je ne devrais pas réagir de la sorte: on dirait un enfant face à un bout de sucre. Ça me répugne. Mais je sens le petit trémon de dopamine qui danse comme les couleurs dans ma tête. Et je ne peux pas m'en empêcher, je réponds.

< J'ai encore la trace de tes mains sur mon âme.

J'appuie sur envoyer avant d'avoir le temps de paniquer. Est-ce-que c'est trop? Est-ce-que c'est pas assez? Qu'est-ce-je fais, qu'est-ce-qu'il fait, quoi faire? La panique m'agrippe, mais déjà, un message apparaît:

> Mes mains se souviennent encore de chacun de leurs mouvements.

< Viens, s'il te plaît.

< Je crois que j'aime bien tes mains.

> Maintenant?

< Je pense pas pouvoir attendre longtemps. Mes mains me démangent.

< S'il te plaît

> ...

Il écrit. C'est agonisant. C'est terrifiant. C'est terriblement long. Je sens la démangeaison spirituelle s'aggraver. J'ai besoin de déchirer ma peau sur du papier. Je me rassemble ( car c'est ça qui me maintient en place, c'est ça qui m'empêche de m'effriter, la création vivante, la vie créatrice) à mon bureau, les traits déchirant ma feuille. Rouge. Rouge. Rouge. Bordeaux, pourpre, sanguinolent désir. Encore, encore, encore, trait sur trait sans m'arrêter. Puis mon téléphone vibre, et je m'apaise à nouveau.

> J'arrive, Isaac. 

ISAACOù les histoires vivent. Découvrez maintenant