Prologue

97 16 8
                                    

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.


Voici venu le temps.

Le sablier a débuté sa course.

Il ouvre les yeux par réflexe, écarquillés, fixés sur un point imaginaire au-delà des pins sylvestres qui dominent la colline. Force est de constater qu'il est toujours seul sur la terrasse qui surplombe Nid'Hogg et son cimetière encore fumant. Un frisson lui parcourt l'échine et il les referme aussitôt.

Tu t'aventures sur un chemin tortueux, en as-tu conscience?

Non, évidemment, pas encore.

La voix dans sa tête est claire, tout à fait distincte, et en même temps, elle paraît si lointaine. C'est une sensation étrange. Comme une chanson qui s'insinue, une inspiration qui se faufile dans ses pensées. Une voix insolite parmi la multitude qui pousse régulièrement la porte de son esprit fatigué. Pourtant, cette fois c'est différent. C'est sa propre voix qu'il entend, alors que sa conscience ne lui a rien commandé. C'est bien elle, mais comme empruntée par quelqu'un d'autre que lui, foncièrement indépendante de sa volonté. Comme un nouveau messager, un de ceux qui, parfois, s'amusent à lui ouvrir de nouveaux passages de conscience à certains moments clés de sa vie. Durant ces courts instants, il lui suffit d'accueillir les paroles furtives qui s'évaporent dans la brume du matin. Comme s'il ne s'agissait que d'un rêve.

Connais-tu l'histoire d'Izad? poursuit le murmure omnipotent.

Les signes... ils te guideront comme ils l'ont toujours fait.

— Qui es-tu ? Qui est Izad ? tente de savoir le destinataire de ces quelques mots soufflés à son oreille.

Trouve la fille. C'est ton chemin.

Malgré ses efforts, il a de plus en plus de mal à maintenir sa concentration. Les paroles silencieuses résonnent dans sa tête comme le martèlement d'une évidence qu'il ne comprend pourtant pas. Lorsqu'il entrebâille à nouveau les paupières, sortant doucement de ce qu'il aime nommer son voyage intérieur, le soleil éparpille déjà sur les nuages ses roses et ses ocres, vifs et lumineux. Son moment de la journée préféré.

Le cycle de la vie. Un perpétuel recommencement.

Elena se laisse choir sur le sol en lâchant un profond soupir. Elle a l'air épuisée. Ses cheveux courts, taillés à la serpe, se dressent sur sa tête de manière désordonnée et lui donnent l'allure d'un garçon. Elle se balance vers lui et lui assène un coup d'épaule affectueux.

— Monsieur le Yogi accepte-t-il un peu de compagnies pour admirer le soleil se lever ?

Il la considère, un brin amusé.

— Tu te lèves ou tu vas te coucher ?

Elle se fend d'une grimace, le regard empreint de lassitude.

— Disons que la nuit fut brève. Ces temps-ci, je passe mes soirées dehors et mes journées à dormir.

— Les nouvelles sont si mauvaises que ça ?

— C'est infernal, lâche-t-elle d'une voix cassée par la fatigue. C'est quasiment toutes les nuits désormais. Les Lycaons se sont encore rapprochés bien trop près et on a dû étendre les feux d'un kilomètre au nord. Sauf que, forcément, la pluie s'est invitée et a tout éteint. Il nous a fallu des heures pour tout rallumer.

Melchior laisse errer son regard sur les courbes verdoyantes des Collines de Tara. L'orage a filé vers le sud et l'aube est déjà en train de teinter le ciel de rose et de mauve, signe que le soleil n'est pas loin.

— Ça commence à devenir inquiétant, on va devoir augmenter les effectifs, répond-il pensif. Vois avec Yules qu'il te donne deux ou trois gars en plus pour les tournées. Darp et toi ne tiendrez pas longtemps à ce rythme.

Elena opine du chef.

— La bonne nouvelle, c'est qu'on ne déplore plus aucune perte au Bunker depuis plusieurs jours. D'après Milo, la maladie n'évolue plus. Il espère qu'on a enfin atteint la phase où les organismes développent des anticorps capables de combattre ce satané virus. Dans le cas contraire, il craint le pire.

Melchior affiche une moue dubitative.

— Si vite ? Ça m'étonnerait !

— C'est ce que j'ai répondu moi aussi, on verra bien ce que l'avenir nous réserve. D'ailleurs, j'ai croisé Gwen en rentrant, elle m'a dit qu'il veut vous voir, toi et Phil.

— OK. J'avais prévu d'y passer de toute manière.

— Dac ! Et va falloir qu'on parle de cette gamine.

Il tourne son visage vers Elena et plonge ses prunelles pâles dans les siennes.

— Qu'en penses-tu toi ?

— Je l'aime bien. Elle a fait ses preuves et elle est douée. Elle a un bon sens de l'anticipation et elle est très motivée.

— Parfait ! Dans ce cas, préviens les autres qu'on procédera au vote ce soir.

— Bien, conclut-elle dans un bâillement.

— Va dormir, je prends la relève.

La jeune femme se remet debout en grimaçant, pose une main compatissante sur l'épaule de son ami et par ce simple contact, il mesure à quel point sa nuit fut pénible. Bien que cette visite impromptue l'ait éloigné furtivement de son expérience extrasensorielle, il a encore l'esprit confus, troublé par la voix qui s'est immiscée sans invitation dans son crâne, quelques minutes auparavant.

Il suit du regard la silhouette d'Elena qui disparaît au milieu des pins sylvestres qui enveloppent le chalet de leurs robes verdoyantes. De son promontoire, il a une vue dégagée sur la ville et ses alentours. Il flotte dans l'air l'odeur de l'herbe mouillée, mêlée à autre chose de plus âpre. Les traces de la dernière crémation sont encore visibles, plus bas en amont de la cité. Elles forment un cercle parfait de cendres noires et poudreuses. Plus aucune fumée ne s'en échappe désormais, l'âme des morts s'en est allée. Seules quelques offrandes, déposées ici et là par ceux qui les pleurent, jonchent le sol poussiéreux. Un rituel qui risque malheureusement de durer.

Un nouveau jour et un prénom qui lui trotte dans la tête.

Izad.

Funambule: Samsãra - Cycle 1 (autoédité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant