CHAPITRE IV

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En entrant dans ma chambre, Leonel me fit tressaillir, puis m'inquiéter. Il était assis en tailleur sur mon lit, la tête baissée, l'air désolé. Lentement, je m'assis à ses côtés. Mon Être se retrouva ensorcelé. C'était plus fort que moi, j'avais l'envie incontrôlable de prendre soin de lui. Ce n'était pas un devoir de le protéger, mais un besoin. Sa présence faisait ressortir tout ce qu'il y a de meilleur en moi ; il adoucissait mes tourments en un regard.

- Leonel... tout va bien ?

Je compris que s'il avait été capable de pleurer, il l'aurait fait. Mais on n'a pas besoin de verser des larmes pour être triste.

Malgré tout, il ne répondait pas. J'ai bien dû rester dix minutes à contempler chacun de ses traits ; puis il me sortit subitement de mes pensées :

- Pourquoi tu refuses de m'aider ?

Surprise par l'originalité de sa question, à la fois osée et blessante, je répondis :

- Co... comment ça ?

- J'ai sollicité ton soutien deux fois aujourd'hui, mais tu n'as rien voulu entendre.

- Mets-toi à ma place !

- Mets-toi à la mienne. Je ne sais pas ce que je suis. Je sais que je suis mort, c'est tout ! Mais alors qu'est ce que je fais là ? Comment se fait-il que tu me voies, m'entendes, et comment est-ce que j'arrive à parler ? Je suis ici et dans ma tombe à la fois. Comment tu expliques ça ?

- Je... je n'en sais pas plus que toi ! Je n'ai rien demandé de tout ça, moi ! J'aimerais ne pas te voir !

Sur ces mots, il fut pris d'une profonde affliction ; son regard le trahissait, étant marqué par la tristesse. Je repris sur le champ :

- J'aimerais ne pas te voir... mort.

- Allie... souffla-t-il avec indulgence, je ne veux pas te causer d'ennuis.

- Je le sais, soupirai-je. Mais... j'ai peur.

- George Sand a dit que la peur des femmes est toujours accompagnée d'une avide curiosité.

George Sand avait raison.

Les yeux plissés, je me mis naturellement à le scruter. Il approcha son visage du mien, et dans ses grands yeux verts je pouvais lire qu'il éprouvait une amère mélancolie. Prise d'une pitié déconcertante, j'eus, à cet instant précis, l'unique désir de lui porter secours :

- Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider exactement, Leonel..?

- Il faut que tu m'aides par rapport à ma famille.

- C'est à dire ?

- Bon... je viens d'apprendre aujourd'hui même que mon père a quitté ma mère seulement quelques semaines après mon accient. Il a obtenu la garde de mon petit frère et ma petite sœur. Il a laissé ma mère dans un état lamentable ; sa dépression l'a conduite dans l'alcoolisme. Elle survit dans un taudis à Pantin. Un vieil HLM jonché de clochards cadavéreux sur le sol ! Elle ne mérite pas ça, Allie !
- Seigneur !

- Je voulais te dire tout ça dès que je l'ai appris, aujourd'hui... Pitié, va la voir. Tu es la seule qui entendes mes prières, même Dieu ne m'écoute pas !

Je couvris ma bouche de mes mains. Je fus abasourdie. Pauvre garçon ! Il a cherché toute la journée à capter mon attention, et je n'ai même pas daigné l'écouter. Tu peux avoir honte, Allie. Rattrape-toi, maintenant.

Après m'avoir creusé la tête, j'exprimai mon idée avec vigueur :

- À Pantin, tu dis ? Mon frère vient d'emménager dans le dix-neuvième ! À quinze minutes au sud de Pantin.

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