Chapitre 1

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AKENA

La réalité est subjective, chacun vit dans sa propre vérité, avec ce qu'il sait, ce qu'il croit, ce qu'il espère. Elle est pour certains très terre à terre, et pour d'autres, elle ne semble pas être ce qu'elle est ou doit être. J'ai rapidement appris que la mienne n'était pas comme celle de monsieur et madame Tout-le-Monde. Ma perception de mon environnement et mes connaissances sur ce qui m'entoure ne sont pas les standards de n'importe qui. J'ai longtemps vécu dans mon cauchemar personnel, avant de comprendre que les monstres existaient pour de vrai, mais que le commun des mortels ne les voyait pas, n'y croyait pas, et surtout ne leur appartenait pas. Je fais partie de ce qu'on appelle « les tributs », mon corps et surtout mon sang ne sont pas ma propriété, enfin pas encore. Depuis l'âge de douze ans, mes parents me cèdent en pâture aux vampires de la ville. Enfin, quand je dis « parents », tout est relatif. Famille d'accueil serait plus juste. Un soir, une assistante sociale m'a abandonnée devant une maison, qui avait tout du foyer parfait, mais une fois à l'intérieur, j'ai découvert que les apparences pouvaient être trompeuses, et surtout, je l'ai subi.

J'avais à peine douze ans.

Je n'ai aucun souvenir de ma vie avant d'être arrivée dans cette famille. Néanmoins, des émotions bouillonnent en moi : douleur, colère, l'impression d'avoir perdu quelque chose, d'avoir été privée d'êtres chers, la frustration de ne pas comprendre ce manque ni pourquoi je me sens si seule et démunie.

Six ans dans le noir, ne sachant ni qui je suis ni d'où je viens. Aujourd'hui, je m'y suis faite, ce n'est pas le passé qui vous fait avancer, mais la force de caractère, alors je ne me retourne pas, j'avance, c'est tout ! Détruisant la moindre lueur de raison qui subsiste en moi, la moindre étincelle d'innocence. Celle-ci, je l'ai irrémédiablement perdue le jour de ma première morsure. À ce moment-là, j'ai compris ce que j'étais vraiment : un repas.

Pour l'instant, j'appartiens à Boyce Baden, le chef vampire de New York et ce, jusqu'à demain matin, jusqu'à mes dix-huit ans. Oui, les vampires existent et ils n'ont rien à voir avec ce que vous voyez à la télé ou dans les livres de romance. Aucun d'eux ne s'appelle Edward Cullen et ne brille au soleil. Ils mordent, se régalent de notre sang, et, quand ils le peuvent, ne se gênent pas pour vous baiser comme ils en ont envie. La chance dans mon malheur, c'est que le royaume de Boyce respecte les lois, celle des vampires. Pas de viol, pas de meurtre, on respecte son dîner. Oui, je ne suis que ça, le dîner. Rester inconnus des mortels est leur priorité, pas la peine que l'humanité apprenne l'existence des suceurs de sang et encore moins des autres créatures qui peuplent nos rues. Dans l'ombre ou en pleine lumière, ils sont parfois juste sous le nez des humains qui les entourent, bien trop idiots pour le remarquer. J'imagine la panique si, aux infos, ils annonçaient que les vampires, les loups et les démons, pour ne citer qu'eux, existaient. Le scénario apocalyptique qui s'en découlerait serait digne des plus grands films d'Hollywood.

Je me dirige vers la boîte habituelle, ce soir, je serai le festin d'un vampire pour la dernière fois. Ça paie bien, mais je ne veux plus de ça et surtout demain matin, je serai officiellement majeure. Ma famille d'accueil me mettra dehors sans scrupules pour libérer la place, afin d'accueillir un gosse plus jeune, qui leur ramènera donc plus de fric. Ils ne vont pas me manquer non plus.

Le froid de l'hiver me mord le visage, j'enfouis mes mains profondément dans mes poches, cherchant le peu de chaleur que je peux y trouver, avec cette veste qui est normalement conçue pour l'été. Une large artère divise les quartiers de la ville en deux, et ma résidence se trouve du côté le moins opulent. Cette boîte rassemble les riches, pauvres, citadins ou campagnards, s'il y a un endroit pour faire la fête jusqu'au bout de la nuit, c'est évidemment là. Les videurs sont très peu regardants sur l'âge minimum autorisé, tout autant que les barmans. Si une jeune fille se présente sur des talons hauts, cuisses découvertes et avec un décolleté provocant, ce n'est pas un appareil dentaire ou un peu d'acné qui vont les faire paniquer. Une femme coquine dans la boîte est un aimant à mâles en chaleur qui n'hésitent pas à consommer au bar jusqu'à la ruine pour tenter de soulager leur libido. Sans compter qu'en plus, elle peut nourrir la moitié de la population de la soirée en prime.

The Witch's legacyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant