Ch 2
*
Cela faisait une lune que Rose étudiait patiemment les livres de ses ancêtres. Elle avait accepté la proposition de son hôte : une alliance entre les deux familles. Depuis, elle avait un accès non limité à la salle des livres anciens, et elle discutait parfois de ses découvertes avec l'homme à qui elle semblait devoir la vie.
Au début, elle y allait une heure par-ci par-là, selon ses possibilités. Mais au fur et à mesure, son temps dans la pièce augmentait dangereusement, jusqu'à s'y oublier complètement.
Ce jour-là, quelqu'un vint la surprendre. Contrairement à ce qu'elle aurait pu imaginer, ce ne fut pas son suzerain mais sa fille. Émilia en voulait à sa dame de compagnie de négliger, justement, sa compagnie. Elle s'en plaignit à son père, qui ne releva pas. Piquée dans sa fierté, elle voulut s’en plaindre à quelqu'un d'autre, et alla tout naturellement frapper à la porte de la bibliothèque privée du roi, et ce malgré le malaise des gardes. Elle entra dans la pièce où celle qui lui manquait terriblement était absorbée par un livre beaucoup trop gros pour elle.
Surprise, Rose marqua une pause. Sa protectrice lui conta son mécontentement, ainsi que l'entrevue avec son père qui n'avait qu'accru sa colère. Rose essaya de dédramatiser la situation, et promit d'être dorénavant plus présente pour sa jeune amie.
Peu après, elles quittèrent ensemble la salle aux livres, et prirent une collation. Elles purent alors échanger sur les craintes d'Émilia et la place que Rose avait prise dans sa vie. Pour la première, cette dernière avait remplacé la mère qu'elle n'avait pas eu la chance de connaître. Elle ne supportait pas imaginer la voir partir un jour, et s'en plaignit.
— Il est plus probable que ce soit vous qui partiez, et que vous m'abandonniez…
— Jamais ! réagit vivement Émilia.
Rose la serra fort dans les bras et l'embrassa sur le front.
— Un jour, un beau prince viendra vous arracher à mes bras et je n'aurai alors aucun mot à dire. Ainsi ira la vie…
— C'est ce que Père fait avec vous ?
Rose ne releva pas la question de la jeune demoiselle, mais elle en avait aussi l'impression. Elle imaginait ce grand Seigneur lui faisant la cour comme il se devrait mais elle s'interrogeait constamment sur leur relation en yo-yo. Il pouvait être si attentionné par moments que Rose semblait vivre dans un palais tout de nuages et légèreté… alors qu'à d'autres il devenait si dur avec elle, comme s'il cherchait à s'en faire détester… Aurait-elle mal interprété cette alliance tant désirée par ce monarque ?
***
Comme chaque année, pendant la période estivale, Émilia passait trois mois en villégiature au Palais côtier. De sa suite, seule Rose manquait à l'appel cette année-là. Le roi Akadeus avait tenu tête à sa si déterminée princesse, qui partit contrariée. Rose eut à nouveau toute liberté pour profiter des livres de ses ancêtres. Elle put les relire et mieux les comprendre mais certaines parties lui restaient confuses. Ses connaissances de l'ancienne langue n'étaient pas suffisantes pour en appréhender tous les secrets.
C'est ce jour-là que choisit le Seigneur des lieux pour passer. Il n'était pas seul cette fois-ci. À ses côtés se trouvait un homme à la stature et au charme similaires, mais au regard moins attentionné. Rose fit la révérence avant de fixer ses yeux sur le parquet vernis.
— Princesse Rose de la Lune, permettez-moi de vous présenter mon fils, le prince Henry, futur roi d'Akadie.
Rose ne sut quoi répondre. En un instant, elle comprit les termes de l'alliance. Le Prince était beau, mais son cœur dégageait une noirceur qui lui glaçait le sang. Elle en avait le souffle coupé.
Le roi continua :
— Henry rentre faire reposer ses troupes avant de repartir au front. J'aimerais vous voir faire connaissance pendant ces quelques semaines. Pour commencer vous serez notre invitée au dîner de ce soir.
Malgré des manières moins raffinées que son père, Henry était très à l'aise en société. Selon son auditoire, ses sujets de conversation étaient la gouvernance, la joute, les joyaux des différentes couronnes, et même la cuisine. Il était particulièrement incollable sur la géographie et sur l'histoire de l'alliance. Ce sont ces deux derniers sujets qui occupaient les conversations des deux héritiers. Henry parlait de la nécessité des extensions pour protéger leurs frontières. Rose lui parlait de l'importance d'une défense toujours prête. Ils étaient rarement d'accord sur les sujets concernant la gouvernance. Lui voulait réaffirmer son autorité sur le peuple, alors qu'elle pensait que le meilleur moyen de gouverner était justement que le peuple soit partie prenante. Chacun, à sa façon, était patriote. Ils étaient au moins d'accord sur l'importance des femmes dans un pays bien gouverné. Elles aussi devaient être entraînées aux responsabilités et à la bataille.
Les journées se suivaient ainsi. Pendant ces cinq semaines, ils partageaient beaucoup de leur temps et apprenaient à mieux se connaître. Henry était physiquement charmant, et savait plaire. Il savait aussi obtenir ce qu'il souhaitait, par la manière forte si besoin.
Une nuit, où la princesse de la Lune était perchée sur son orme, elle surprit le Prince discutant avec ses capitaines des meilleures manières de gagner les guerres. Selon Henry, en guerre tout était permis, et même trahir les alliances.
L'alcool coulait alors à flot et les langues se déliaient. Sept années s'étaient écoulées depuis leur dernière grande victoire à la frontière Nord. Ils racontaient comment ils avaient aidé les nordistes à se défendre contre l'invasion venue des terres sauvages. Et puis tous se mirent à rire en même temps à ce moment de l'histoire où leurs alliés comprirent qu'ils avaient profité de leur faiblesse pour se retourner contre eux. Il était alors trop tard. Les seigneurs du Nord ainsi que tous les témoins présents avaient été capturés, et massacrés. Henry souriait à l'évocation du rôle qu'il s'était composé : protecteur des terres du Nord, lui à qui on avait refusé la main de la trop jeune princesse. L'ironie du sort avait voulu qu'elle lui soit servie sur un plateau pour la protéger de ses ennemis... Son esclaffement se fit alors entendre à plusieurs lieues de là.
Rose resta immobile sur sa branche. Ses larmes commencèrent à couler plusieurs minutes après le départ du Prince et de sa suite. Elle comprenait mieux cette crainte qu'il lui inspirait. Leur mariage se préparait pour la prochaine équinoxe. Mais comment pourrait-elle épouser cet homme si malveillant, qui avait froidement détruit tout ce qui comptait pour elle, et lui donner des enfants ?
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Le Pacte d'Argile
FantasyRose est une princesse orpheline. Plus jeune, elle a été confiée, en secret, à la garde du roi Akadeus. Elle devra apprendre à lutter contre un passé obscur, et se réapproprier une histoire volontairement effacée. Couverture : mix entre un dessin pe...