QUATRE

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J'appuyais ma joue contre la surface froide de la vitre. Nous roulions vers la campagne, et moi je songeais aux précédants évènements.

Ils ont réussi à me convaincre. Mais pourquoi m'avoir enlevée, pour me l'annoncer? Quand vais-je pouvoir rentrer à la maison? Tant de questions sans réponse...

Après le chien de Rose, mon frère m'avait montrée comment il arrachait un arbre à la seule force de ses pensées. Cela avait fait un bruit effroyable, mais bon, j'imagine que, au fin fond de la forêt, personne n'avait dû être interpellé. Je pus enfin voir le plus troublant - la transition du vert au noir de son œil gauche. Chez sa compagne - oui, il s'agissait bien de sa petite-amie ... -, le changement de couleur fut moins flagrant : seuls quelques reflets mauves filtraient au travers de son illusion.

Je me demandais où est-ce que Ben comptait m'emmener exactement, et pourquoi il ne me ramenait pas chez moi. Quand je lui avais posé la question, un éclaire de tristesse avait traversé les yeux de Rose. Il m'avait alors demandée de patienter.

Et j'attendais, inquiète, fixant le paysage vert défiler sous mes yeux.

Une pensé me traversa tel un électrochoc.

Laura!

Je n'avais pas pensé à Laura! Toute à l'heure, Ben a dit que nous avions hérité d'un même gêne, faisant de nous des personnes à part. Si la génétique nous avait touché tous les deux, cela signifiait que notre sœur aussi y était peut-être inculpée? Non! Je ne voulais pas qu'elle soit embarquée là-dedans. Je voulais qu'elle vive son adolescence avec ses hauts et ses bas, mais, pas qu'elle devienne un monstre. Oui, un monstre. Comment les humains nous qualifieraient-ils ? Non pas que je n'en sois plus un. Mais ça ne saurait tarder. Je ne voulais pas de ma sœur dans cette situation. Je voulais qu'elle réalise ses rêves, et qu'elle puisse trouver l'amour et fonder une famille.

Je me battrai pour qu'elle soit comme les autres filles de son âge.

Mais la vérité me frappa de plein fouet.

Nous n'avions jamais été normaux. Et Laura n'est pas heureuse. Sachant que tout cela lui plairait beaucoup, serait-il juste que je me mette en travers du destin? Elle m'en voudrait. Et elle aura beau essayer d'être normale, avec ce que je viens d'apprendre aujourd'hui, je sais qu'elle ne le sera sûrement jamais.

- Comment se portent papa et maman? demanda alors mon frère, tandis qu'il conduisait l'énorme bolide.

La colère, qui couvait dangereusement, me prit de nouveau.

- Tu le saurais, si tu aurais pris de nos nouvelles, rétorquai-je, peu amène.

Il se mordit la lèvre.

- Je ne pouvais pas, Mia. J'étais occupé... et un peu dangereux, souffla-t-il.

Je gardais le silence. Mes yeux dérivèrent de nouveau vers le paysage monocorde qui défilait. L'overdose de verdure allait me prendre à coup sûr. Impatiente que le soleil se couche, je fermais les yeux. J'aimais tellement la nuit, je m'y sentais mieux, invisible aux yeux de tous. J'avais le sentiment de pouvoir tout réaliser, et tout détruire. Oui, de sombres pensées me viennent parfois, tapies dans l'obscurité. Je me sentais puissante, enveloppée dans la froideur de ses bras.

Je m'enfonçais avec les autres dans le reste de la forêt, qui je le savais, déboucherait sur leur repère. Nous avions abandonné la voiture dans un renfoncement invisible du chemin en terre que je devinais de très rares piétons empreintaient. Notre marche durait depuis une demie-heure, enjambant ronces et fougères, nous enfonçant de plus en plus dans les bois. Je me demandais comment mon frère se débrouillait pour se repérer. Et puis toutes ces précautions me paraissaient démesurées étant donné l'abandon du village le plus proche. Ils vivaient donc ainsi, coupés du monde? Pourquoi? Pour pouvoir utiliser leurs dons sans se faire repérer? Cette pensée me fit frissonner.

ÉternelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant