Chapitre 1

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Le vent froid de novembre soufflait dans mes cheveux. Le soleil commençait tout juste à se lever et les rues de la ville étaient encore silencieuses. J'aimais ce moment de calme, entre ma demeure et l'opéra. Chaque matin, je prenais le temps d'observer le monde, plus particulièrement les couleurs des vitrines des boutiques que je connaissais désormais par cœur.

Dans l'avenue qui menait à l'opéra, j'aperçus un couple d'adolescents. Ils ne devaient pas avoir plus de seize ans. Ils marchaient, main dans la main, un sourire niais éclairait leur visage. L'écharpe de la jeune fille virevoltait au rythme des bourrasques du vent.

— Ma mère avait raison : c'est comme une évidence. J'ai immédiatement su quand je t'ai vu la première fois. C'est là que j'ai découvert la couleur lavande. Tu t'en souviens ?

La jeune fille hocha la tête.

— À l'instant même où j'ai posé les yeux sur toi, mon cœur s'est mis à battre la chamade. Tu avais un bonnet d'un rouge flamboyant ! Impossible de l'oublier !

Je n'entendis pas le reste de leur conversation, mais je ne pus me retenir de sourire. Cela faisait bien longtemps que je ne croyais plus à ces histoires de couleurs et d'âmes‑sœurs. Je revoyais encore mon père m'expliquer la notion de couleur. Les couleurs ne te seront visibles qu'une fois que tu auras rencontré l'amour de ta vie. Tu comprends Myel ? Dès que tu verras une couleur cela voudra dire que tu te rapproches d'elle. Enfant j'avais bien sûr été fascinée par cette histoire d'âmes‑sœurs moi qui voyaient le monde en noir et blanc – sans compter quelques nuances de gris. Mon père avait passé la majorité de mon enfance à me raconter sa rencontre avec ma mère, à dix-neuf ans. Chaque fois il ajoutait un détail, une anecdote. J'avais posé tout un tas de questions pour essayer de comprendre : comment savoir que ce que l'on voit est bien rouge ou violet ? Est-ce que toutes les couleurs apparaissent d'un seul coup ? Non Myel, cela prend du temps, c'est progressif, il faut faire preuve de patience.

Puis un jour mon père est parti. Il m'avait laissé un simple mot sur un bout de papier déchiré. Il disait que même s'il avait vu des couleurs avec ma mère, il s'était trompé. Il y en a d'autres, tellement d'autres, ailleurs. Ma mère en eut le cœur brisé. Je ne croyais plus en l'amour depuis lors. À quoi bon prendre le risque de souffrir ? Dès lors, une seule chose comptait pour moi : la musique. Je m'étais jetée à corps perdu dans les études, j'étais la plus jeune cheffe d'orchestre de l'époque. J'avais une carrière toute tracée dans la musique.

Mais Nicolaï avait changé tous mes plans. Dans son smoking gris clair, il avait passé la soirée de remise des diplômes à me parler. Il avait des yeux d'un bleu perçant. C'était la première fois que je voyais une couleur. Bleu. Oui, mon père avait raison, quand on les voit on sait. Il était l'une des rares personnes de ma génération à n'avoir jamais touché au Farblos. C'était la drogue la plus répandue de ces dernières années. Son consommateur pouvait voir les couleurs pendant un court laps de temps. À l'origine, le Farblos avait été conçu pour aider les personnes dont l'âme-sœur avait perdu la vie. Les couleurs finissent par s'estomper à la perte de l'autre. Les personnes endeuillées peuvent ainsi trouver du réconfort en voyant à nouveau les couleurs qu'ils voyaient au contact de leur amour perdu. Mais au fil du temps, les gens en prenaient pour le simple plaisir de voir de nouvelles couleurs, sans penser aux conséquences. La prise de cette poudre des couleurs rendait difficile la rencontre des âme-sœurs. Le Farblos, qui se voulait médicament, était désormais illégal.

Après plusieurs mois de relation, il avait fait sa demande, un genou à terre devant tous nos amis. Ainsi, la veille de mes vingt-cinq ans, j'avais uni ma vie à la sienne. Un an après notre mariage, j'avais vu du jaune sur sa chemise. Deux ans plus tard, le 24 décembre 1985, je donnais naissance à Cora et Iris, mes jumelles monozygotes. C'est avec leurs chevelures que je découvris le rouge et toutes ses nuances.

La Symphonie Des Couleurs - FARBLOS (Sous Contrat D'édition Chez Homoromance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant