Chapitre 1.1

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Trois jours plus tard et neuf auditions passées, aucun candidat n'avait fait l'affaire. Pour parfaire le tout, l'institutrice des filles était en formation pour la journée et Cora et Iris devaient rester avec moi. Je ne pouvais pas les laisser seules à la maison. Cora était enthousiaste à l'idée de venir me voir au travail et d'après elle, Iris l'était tout autant. Je réorganisais mes partitions tandis que mes deux petites têtes rousses s'amusaient à courir entre les sièges de l'opéra.

— Madame Abramovich ? dit Luciole qui se tenait dans l'embrasure de la porte juste derrière moi. Quelqu'un demande à vous voir. C'est pour la place de soliste.

Je demandais aux filles de bien vouloir sortir de la salle et d'aller visiter les coulisses afin de me permettre d'auditionner au calme. Cora se précipita derrière les rideaux et je vis Iris suivre sa sœur en souriant. Luciole laissa entrer l'individu, un étui de violon dans la main. L'homme avait les cheveux courts, il était mal coiffé. Sa chemise foncée était bien trop grande pour lui de même que ses chaussures. Son pantalon tenait à l'aide d'une ceinture en cuir à la boucle dorée.

— Bonjour, je... je m'appelle Roch et je heu... quel morceau voudriez-vous que j'interprète ?

— Bonjour, Myel Abramovich, répondis‑je en lui serrant la main. Si vous le voulez bien nous allons attendre monsieur Keating, le directeur. Je vous laisse le choix du morceau.

Je pris place au troisième rang et attendis Imero. Ce dernier ne tarda pas à arriver et Roch entama les premières notes de Minuit en G majeur de Bach. Il avait les yeux fermés et son visage se tordait de grimaces étranges. Au bout de trois minutes, Imero ôta ses lunettes.

— C'est le pire de tous... chuchota-t-il.

— Tu trouves ? Pourtant celui d'hier me semblait mériter ce titre.

Il ne put s'empêcher de rire. Roch, lui, continuait de jouer sans nous regarder, absorbé par la musique. À la fin de sa prestation, il nous salua, attendant notre verdict. C'était le moment que je redoutais le plus. Oui bien sûr il ne correspondait pas à ce que l'on attendait mais à chaque fois que je devais annoncer à un candidat qu'il n'était pas reçu j'avais l'impression de briser ses rêves et de réduire à néant toutes ses heures de travail. J'ouvris la bouche pour parler mais Imero prit les devants. Il remercia Roch et lui demanda de laisser ses coordonnées à Luciole avant de partir.

— Il nous reste toujours Nigel, il n'était pas si mauvais en fin de compte et puis–

— Maman !

La voix de Cora laissait paraître sa peur. Je me levais d'un bond, cherchant ma fille du regard dans la pénombre de la salle. Cora s'approcha en courant et je vis les larmes qui menaçaient de couler sur ses joues. Je la pris dans mes bras afin de la rassurer. Entre deux sanglots elle m'expliqua qu'avec Iris elles étaient allées dans le parc adjacent à l'opéra dans l'idée de jouer à cache-cache. Cet endroit leur était interdit sans la présence d'un adulte.

— Je ne la trouve pas maman... renifla Cora. D'habitude elle se cache toujours au même endroit, derrière la statue de la dame à l'arc.

La respiration de mon aînée de deux minutes commença à ralentir. J'essuyais d'un geste les larmes qui roulaient sur son visage. Je laissais Imero s'occuper de Cora et me dirigea vers le parc. Je connaissais ce parc par cœur ; j'y allais souvent prendre une pause, une bouffée d'air entre deux répétitions. Son parterre de fleurs de lys bleues et safranées m'apaisait dans les moments de stress. J'avais parcouru ses allées maintes fois. Je regardais dans les endroits où j'imaginais ma fille se cacher. Elle restait introuvable. Je l'appelais, sans espoir d'une réponse. J'accélérais le pas, regardant sous les bancs, dans les vases immenses et vides. Soudain j'entendis une voix féminine, douce, et suave. J'approchais en silence, curieuse de découvrir à qui appartenait cette voix.

La Symphonie Des Couleurs - FARBLOS (Sous Contrat D'édition Chez Homoromance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant