La brèche

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On trouvait, dans le centre ville de Tours, une rue particulièrement animée de part ses nombreux cafés et autres établissements plaisant aussi bien aux touristes qu'aux travailleurs exténués désirant se détendre. Hugo semblait bien connaitre les environs puisqu'il emmena avec confiance son collègue devant un pub à la devanture noire et poussiéreuse que Damien, dans d'autre circonstance, n'aurait jamais fréquenté. En effet, de l'extérieur, il était impossible de voir à travers les immenses baies vitrées composant un bon quart du mur de la boutique. Un effet de style ou beaucoup de crasse ? Dans le doute, Damien ne serait pas entré. Mais bon, Hugo semblait vraiment sûr de lui et poussait déjà la porte du bar, alors il se contenta de lui emboiter le pas, en tentant d'ignorer la sensation désagréable provoquée par le contact entre sa main et la poignée collante qu'il avait pourtant à peine effleurée. 

- Tu verras, ils sont un peu bizarres mais super sympas ! affirma-t-il en indiquant d'un léger coup de tête le comptoir où se trouvait deux jeunes hommes. 

A peine fut il à l'intérieur que Damien ressentit l'ambiance lourde du lieu et fut tenté de fuir. Pas qu'il n'aimait pas s'amuser, au contraire, mais les tensions qui s'accumulaient au sein de ce genre d'établissement avait la fâcheuse tendance à lui provoquer des visions. Le plus souvent, ils s'agissaient de bagarre entre individus torchés, mais parfois, des scènes plus... érotiques se rejouaient sous ses yeux. "Bingo" pensa-t-il en soupirant alors que l'image de deux hommes s'embrassant s'imposait à lui. Il détourna le regard, légèrement gêné, et rejoint Hugo au comptoir qui discutait avec ses deux amis. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il remarqua que ces amis en question étaient les deux acteurs de la rétrospective du baiser. Alors un rire nerveux le secoua tandis qu'Hugo le présentait. 

- Moi c'est Maxime ! Fit le plus petit qui possédait un nez aussi grand que celui de Cléopâtre.
- Mathis, mais tout le monde m'appelle Grim. Enchaîna le second d'un ton assez sec. Grim donc, étant de l'autre côté du comptoir, Damien supposa qu'il devait travailler ici.  

Maxime, avec sa chemise blanche ternie par le temps et sa veste de costume bien trop grande pour lui, ressemblait à un enfant s'étant pourvu des habits de ses parents. Grim, quant à lui, portait sa tenue de travail avec classe. Ses cheveux rebelles plaqués sur sa tête lui donnaient vraiment l'air d'un barman accompli. Le policier remarqua qu'un certain malaise planait entre ces deux hommes. Il apprit plus tard dans la soirée que Maxime louait des voitures et que Grim continuait ses études en parallèle de son travail de barman. Bien que leur humour soit basé sur les moments de silence dérangeant et les fausses engueulades, Damien apprécia beaucoup leur compagnie. Le tout était de faire la différence entre les vrais moments de malaise et ceux surjoués. Un art que visiblement, Hugo ne maîtrisait pas encore totalement, malgré ses nombreuses années d'amitié avec l'étrange duo, ce qui rendait beaucoup de situations décalées encore plus étranges. 

La planche de bois vernie sur laquelle Grim posait leur verre était, contre toute attente, d'une propreté impeccable. Plus tard dans la soirée, il remarqua que le jeune barman l'astiquait régulièrement quand son patron jetait un œil sur lui et que les clients ne se bousculaient pas. Un moyen pour lui de ne pas se faire réprimander alors qu'il discutait joyeusement avec ses camarades. Damien fit part à ses nouveaux amis de ce fait et tous se mirent à charrier gentiment le métis. Ce dernier pour toute réponse, frotta le visage de Maxime avec son chiffon usagé pour éliminer la tache tenace qui le collait en se proclamant son ami. Le jeune loueur de voiture rougit de colère, ou peut-être de gène, impossible de le savoir.

L'ancien policier finit par quitter ces joyeux lurons, aux alentours de 23 heures. Il savait que le réveil le lendemain serait difficile. Cependant, une heure de sommeil supplémentaire n'était pas à négliger.  Dans le bus le ramenant à son appartement qui se situé à quelques kilomètres vers le nord, Damien repensa à sa vision, celle de la prison, pas celle du bar. Maintenant qu'il réfléchissait, un détail le chiffonnait. Il y avait eu cet homme aux cheveux bouclés, hurlant à plein poumon : c'était ce qui avait d'abord retenu son attention. Mais il y avait aussi ces gardiens que Damien n'avait vu que de dos, ou presque, un flash lui revint, l'un d'eux, l'espace d'une seconde, s'était retourné vers lui, une expression presque moqueuse sur le visage. Une nausée le prit soudain, un malaise si grand qu'il crut s'effondrer de l'intérieur. Le siège sous ses fesses semblait être en train d'aspirer son âme. Ce genre de frisson d'effroi qui vous traverse lorsque vous venez de vous rendre compte qu'un petit détail change toute votre conception du monde. Cette sensation de vertige qui vous donne l'impression de chuter pour l'éternité d'une seconde. Parce que cette homme et son expression rieuse le regardait lui. Or, il était impossible que quiconque ait conscience de sa présence puisque cette scène se déroulait dans le passé. Pourtant, sa mémoire ne pouvait pas le tromper, et après des années d'entraînement Damien avait vraiment confiance en elle. 

C'est à peine s'il salua le conducteur tant le jeune homme voulait rentrer chez lui au plus vite. L'obscurité de la nuit alourdissait la boule de stress présente dans son estomac et qui le rendait dix fois plus lourd. Il n'avait qu'une envie, se blottir sous sa couverture et profiter de sa chaleur et de son confort rassurant. Ce genre de réactions instinctives qu'ont les enfants et qui parfois ressurgissent une fois l'âge adulte atteint lorsqu'il s'agit de faire face à une force inconnue. Mais avant ça, Damien vérifia que toutes les fenêtres de chez lui étaient fermées.

***

Le sourire de la bête s'agrandit, elle ressentait cette terreur pure qui émanait de l'autre côté de la ville. Une nouvelle proie dont elle pourrait se nourrir jusqu'à être totalement rassasiée. Un grognement guttural de satisfaction émana des profondeurs de la créature. Ce son pouvait se rapprocher du ronronnement d'un chat enrhumé et Yvick, bien qu'ayant fortement envie de dormir, laissa son codétenu profiter d'un moment d'apaisement mérité.  

Entre quatre mursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant