Orbes noires

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Le numéro 45 bis rue du général Flantier était une très belle maison. Un plain-pied à la devanture blanche d'une propreté impeccable entouré d'un petit terrain avec une pelouse tondue à la perfection ainsi que des fleurs rayonnantes dégageant une odeur agréable. Les fenêtres cristallines laissaient apercevoir un salon lumineux, une pièce de vie bien trop vivante et bien trop entretenue pour une demeure abandonnée. Visiblement, malgré le crime atroce ayant eu lieu ici, une petite famille avait trouvé son bonheur. Peut-être même que les acheteurs avaient obtenu une ristourne pour la morbide tâche brune incrustée sur le carrelage de la cuisine.

Des rires joyeux émanaient de derrière la maison, des enfants jouaient sans aucun doute dans le jardin. Damien espéra qu'aucun d'entre eux ne disposait d'une sensibilité au paranormal. Il ne souvenait que trop bien de sa propre expérience transformant souvent ses découvertes enfantines en cauchemar et un tel lieu attirait les mauvaises énergies. Enquêter ne serait pas aussi facile qu'il l'avait prédit. Il ne pouvait pas frapper à la porte pour se rendre sur la scène de crime, d'abord parce qu'il n'était plus policier pour le moment, puis parce que l'enquête concernant ce lieu était bouclée depuis longtemps et enfin parce qu'il n'avait pas les autorisations nécessaires. Damien soupira, jouer les espions n'était pas ce qu'il préférait dans son activité mais il n'avait pas vraiment le choix. L'ancienne maison de Thomas était son unique piste pour le moment. 

Damien regarda à travers chaque fenêtre, espérant tomber sur la pièce où le massacre avait été commis. Si tout se déroulait comme prévu, une vision le prendrait dès lors qu'il poserait ses yeux sur l'ancien emplacement du cadavre. D'abord, il tomba sur une petite salle de bain où par terre des affaires sales s'entassaient, il remarqua en riant qu'il possédait le même caleçon. Puis Damien trouva un petit bureau en bazar qui devait servir aux habitants de débarras et d'archives puisqu'entre les cartons d'électro-ménager vides, on pouvait deviner d'épaisses pochettes sûrement remplies de feuilles d'impositions et autres papier plus ou moins officiels. Enfin la dernière vitre donnait une vision sur le salon et la cuisine et la sensation particulière provoquée par sa capacité lui affirma qu'il venait d'arriver au bon endroit. 

La silhouette du détenu se tenait droite, face à une jeune femme brune pleine de vie. Le sourire, jusqu'au oreille, elle tenait un petit objet dans ses mains et le montrait fièrement à son copain. Soudain, ce dernier s'empara d'un couteau et s'approcha d'elle. Et alors qu'il allait la poignarder, il se tourna vers Damien. Des yeux d'un noir perfide regardaient dans sa direction. Plus il fixait ces deux orbes maudites, plus Damien perdait pieds. Le policier se sentait comme aspiré par le temps lui-même. Une sensation totalement inédite à la fois grisante et terriblement douloureuse. Cette dualité rendait l'expérience particulièrement désagréable. C'est pourquoi, il décida d'y mettre fin en s'éloignant de la fenêtre. Lorsque Damien rejeta un œil à travers la vitre, l'immonde phénomène avait disparu, ne laissant que le souvenir d'un homme ravagé par la tristesse et le deuil. Thomas pleurait devant le corps de sa femme, inconsolable. 

- Hey vous ! Hurla une femme noire au regard assassin qui tenait fermement un outil de jardinage aiguisé dans les mains. Qu'est ce que vous regardez ?! Sans doute le prenait elle pour un rodeur faisant du repérage en prévision d'un cambriolage. 

Damien décampa rapidement après s'être piteusement excusé. Il se justifia bancalement, affirmant avoir pensé cette maison à l'un de ses anciens camarades du lycée qu'il voulait absolument revoir pour boire à la mémoire de tous les merveilleux moments passés ensembles. Même les voyous dealers des quartiers craignos étaient plus crédibles avec leur air farouche et leur affirmation bancale : "c'est pas à moi, je sais pas comment c'est arrivé dans ma poche" alors même qu'une caméra les avait filmés. En un mot : médiocre. 

Sur la route, Damien se mit à réfléchir intensément, il était sûr, malgré les images trompeuses, que ce n'était pas Thomas le meurtrier. Une voiture noire, un gros modèle généralement possédé par les familles nombreuses, menaça soudainement de le renverser, dans un réflexe presque surhumain, il parvint à l'éviter. Le conducteur pila et sortit de son véhicule, en panique. Après s'être assuré pendant une bonne demie heure que le jeune homme aller bien, il le lâcha enfin. Étonnamment calme alors qu'il venait d'échapper à la mort, Damien avait la curieuse impression d'être un spectateur de sa vie. Ce déphasage disparut lorsqu'il entendit un rire mesquin derrière lui. Quand il se retourna, il n'y avait rien. Une suée froide coula dans son dos, du même genre que celle qu'il avait ressenti face au sourire du gardien et aux yeux de Thomas. Maintenant, il en était certain, tout était lié. Mais cette certitude avait un prix : la sensation constante d'être observé par une entité indicible. 

Entre quatre mursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant