Il faisait nuit noire.Dans sa tête comme à l'extérieur.
Les ombres s'enroulaient autour de son corps comme de longs serpents se languissant que leur victime n'ait toujours pas succombé.
Ils l'étouffaient. Ils détruisaient ses membres un à un, se réjouissaient de sa détresse jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus respirer, écrasée par ses propres tourments.
De temps en temps, des paroles entraient puis sortaient de sa tête, comme une triste brise en hiver. Des larmes gelées, attirées par le vide. La neige crépitant, les flocons se brisant en mille morceaux et répandant leurs brisures sur le sol froid bétonné.
Un monde à part, voilà ce que son esprit était devenu. Ses souvenirs étaient flous, modifiés par un cerveau qui ne voulait que lui nuire. Par un désir de disparition si intense que même les plus grandes flammes se cambraient devant cette façon de voir les choses.
Longtemps, elle s'était demandée si le problème venait vraiment des facteurs extérieurs ou si ce n'était pas elle, le véritable soucis. Peut-être dramatisait-elle les choses, enjolivait son caractère et rejetait la faute sur les autres ?
Ces incessantes remises en question la taraudaient et lui torturaient l'esprit, au point que cela faisait bien un mois que Hani n'avait pas vu une de ses supposées amies. Au début, ces dernières avaient insisté pour la voir, mais elle les avait rejetées et depuis, aucune d'entre elles ne lui avait rendu visite. Était-ce ça, la source véritable du problème ?
Elle ouvrit péniblement les yeux et la pénombre l'assaillit aussitôt. Elle se recroquevilla dans son coin, entre le bureau et le mur. Des larmes chaudes commencèrent à rouler sur ses joues, contrastant avec la fraîcheur des pensées.
Elle voulait en finir. Elle était exténuée par cette lutte infernale. Cela devait cesser. Elle voulait ne plus avoir peur du noir, ne plus croire qu'elle était seule. Elle avait déjà tenté cette expérience par le passé, et elle ne voulait plus jamais recommencer. Pourtant, ce n'était pas la tentation qui lui manquait, mais elle avait réussi à garder un semblant de détermination, une pincée de volonté.
Pour une fois, elle se laissa aller. Elle imagina, se laissant porter par ses démons et les fantômes. Elle les laissa se jouer d'elle, lui montrer de faux espoirs et l'amener dans les tréfonds de son âme. Elle était si légère ! Une plume noircie par les cendres de ses propres flammes.
Alors Hani se leva. Elle leva enfin les yeux et les essuya avec sa manche encore sèche. À tâtons, elle chercha l'interrupteur. Quand elle le trouva, elle le caressa du bout des doigts, étudia ses contours, sa forme carrée aux bords arrondis... Puis elle lui donna brusquement un violent coup. Elle ne cligna pas des yeux quand la lumière jaune éblouissante inonda la pièce. Ses yeux s'humidifièrent à force de les laisser trop longtemps ouverts. Elle inspecta chaque détail de la pièce, chaque recoin, comme si tout pouvait cacher un indice ou bien un mystère à élucider.
Son regard se faisait perçant. Il coulait sur tous les objets, semblait remuer chaque atome pour voir s'il n'était pas suspect. Quand il se posa sur la fenêtre, il ne s'en détacha plus. La pluie ne s'était toujours pas arrêtée, le ciel était toujours noir, les voisins d'en face toujours éveillés. Sans cligner des yeux, Hani se rapprocha de la vitre et l'ouvrit. L'air frais lui caressa le visage et quelques-unes de ses mèches noires voletèrent autour de son joli visage rond. Sous le coup de l'impulsion, elle s'élança alors sur le balcon. On avait l'impression que ses pieds se détachaient du sol, qu'elle s'envolait vers un autre univers. Mais le sol mouillé, résultat de la lourde tristesse du ciel, se joua d'elle. Hani dérapa violemment sur le côté, surprise par cet élément extérieur qui nuisait à son désir. Elle parvint tout de même à s'accrocher à la barrière noir entourant le balcon, mais cette dernière, faux espoir, lui rentra dans les côtes. Hani laissa s'échapper un long gémissement de douleur puis se laissa glisser au sol, le corps endolori. Tremblante, elle releva son t-shirt et examina la zone qui avait été violemment frappée. Elle conclut qu'allait avoir un beau bleu, si ce n'était pas une écrasante douleur pendant plusieurs semaines, mais peut-être cela lui avait-il sauvé la vie en fin de compte. Si elle n'avait pas dérapé, elle aurait pu basculer de l'autre côté : le vide.
Ses cheveux, à présent mouillés, lui collaient à la peau et formaient un rideau devant ses yeux. Certains, encore assez légers, s'envolaient à chacun des souffles de la jeune femme. Ses paupières descendaient doucement, trahissant un manque de sommeil.
Une goutte de pluie lui tomba sur le nez. Une autre sur son pied nu. Puis une centaine sur tout son corps.
À présent, elle s'en rendait compte.
Elle ouvrit brusquement les yeux et leva les bras en ciel en formant une coupe avec ses mains, malgré la douleur. Elle grinça des dents et attendit qu'un fond d'eau se forme dans ses paumes. Quand elle le jugea suffisamment haut, elle baissa les mains et regarda le liquide former des petites ondulations à sa surface. Elle fut fascinée par ce spectacle qui pouvait sembler insignifiant, mais qui était un véritable petit paradis pour elle.
Une lumière d'espoir.
Une luciole perdue dans la nuit.
Une porte ouverte sur un monde nouveau.
L'eau du ciel coulant sur ses joues exposait ses émotions au monde entier... Du soulagement. Un peu d'appréhension aussi, mais beaucoup d'espoir pour sortir enfin de cet enfer.Qu'avait dit sa mère déjà ? Les perles possèdent bien des pouvoirs, et il ne tient qu'à nous de trouver comment les utiliser.
- Ô larmes du ciel, perles sacrées, gouttes de pluie traversant le temps..., commença Hani.
Elle marqua une pause, tentant de choisir ses mots avec soins. Finalement, ces derniers sortirent sans attendre et formèrent un flot. Un fleuve d'espérances.
- Vous qui êtes si puissantes, vous qui êtes si proches des dieux, entendez ma prière..., murmura-t-elle. Je réclame le pouvoir d'Ai-tupai, déesse de la guérison. Qu'elle m'aide à soigner mes tourments qui m'emmènent toujours plus loin dans les entrailles de la douleur et de l'obscurité. Et que Rearea, déesse de la joie m'aide à trouver la voie du bonheur afin que je puisse jouir de chaque instant de la vie. Que chaque moment de ma vie soit illuminé, que j'oublie tout ce qui m'a aujourd'hui détruite. Que tous les malheurs disparaissent de mon chemin. J'ai assez souffert.
Sur ces paroles, Hani se versa les perles du ciel sur ses cheveux qui se fondirent avec leurs congénères. La jeune femme fixa le ciel, toujours en attente d'une réponse, d'un signe comme quoi quelqu'un avait entendu son appel à l'aide. Mais elle ne ressentait que le tissu de son pyjama et ses cheveux trempés collés à sa peau. Rien d'anormal qui puisse attester de la présence d'une quelconque divinité.
Alors, elle se leva péniblement et continua de fixer la ville. Les immeubles étaient gris et ternes en cette sombre nuit, et les lampadaires arrivaient à peine à illuminer toute la ville de leur vieille lumière floue. On entendait quelques véhicules rouler sur les rues inondées, des coups de klaxon, et de temps en temps, un coup de vent plus fort que les précédents. Même les enseignes publicitaires semblaient fausses et ridicules au milieu de cet enchevêtrement de carrefours.
Hani ne saurait dire combien de temps elle a passé à contempler cette ville sous les longs pleurs du ciel, arrosée de ses larmes. Mais quand elle partit se coucher, au petit matin, répandant de l'eau dans tout l'appartement, elle eut une impression étrange. Un sentiment de renouveau, comme si en elle quelque chose avait changé, si ce n'était pas... tout.
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Les Larmes du Ciel
Conto- Chez moi, il y a une légende. On dit que les perles portent des pouvoirs surnaturels et qu'elles peuvent permettre de s'approprier les caractéristiques des dieux vénérés. Ce sont des gouttes d'eau qui traversent le temps, paraît-il. Tu pourrais te...