Chapitre 2 - Réponse

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Ysé avala une gorgée de son thé rooibos. Sa bouche se tordit dans une moue de dégoût. Sa gorge se contracta précipitamment, laissant couler le liquide chaud et parfumé dans les profondeurs de son estomac. Le breuvage était beaucoup trop sucré, au point d'en devenir écoeurant. Depuis l'incident, la jeune femme peinait à rester concentrée. Le matin, en descendant pour aller chercher le courrier distribué par un choupatte – chou vivant évidé, capable de parcourir de grandes distances grâce à l'endurance de ses longues pattes, faisant office de facteur ou de livreur –, elle avait loupé une marche. Ysé avait terminé sa course étendue au pied de l'escalier, face contre terre. La jeune femme avait ensuite péniblement remonté les marches, en s'agrippant à la fine rambarde en fer forgé de toutes les maigres forces que ses bras et sa jambe droite valide lui permettaient. Son genou gauche avait heurté le rebord d'une marche dans un angle fâcheux. De son membre inférieur blessé émanèrent des vagues successives de douleur, comme pour se rappeler à son bon souvenir. Elle le massa en douceur, avec des gestes lents et précautionneux, avant d'allonger sa jambe sur la table basse, mais rien n'apaisa la douleur. Si elle persistait, il allait falloir sortir la grande artillerie. Ysé s'était installée dans le confortable canapé en velours rouge cramoisi du salon, et n'avait presque pas bougé depuis.

La douleur passa au bout d'une heure. Ysé tendit le bras en direction du pommophone. Après l'appel, elle vérifierait. Deux semaines s'étaient écoulées depuis sa rencontre avec le Yellow. Au début, la jeune femme vivait dans la peur d'être retrouvée. Son premier réflexe fut d'inspecter la carte de visite et ses affaires, afin de s'assurer que l'homme n'y avait pas glissé un mouchard. Elle ne trouva rien. Au fur et à mesure que le temps passait, sa crainte s'estompa. Elle aurait été retrouvée il y a belle lurette, s'il l'avait voulu. Elle se ravisa. Le scientifique se fourrait le doigt dans l'oeil, s'il se figurait qu'elle tomberait dans le panneau aussi facilement. Le bougre avait tenu parole et, à l'évidence, il l'avait laissée partir pour pouvoir mieux l'entourlouper par la suite. Gagner la confiance, endormir la méfiance, comme disait l'adage. C'était un piège grossier. La main d'Ysé attrapa la tasse, la porta à ses lèvres. La préparation à l'odeur particulière avait refroidi, mais elle ne le remarqua pas. 

Un doute subsistait. Un léger doute, mais qui prenait de plus en plus de place dans son esprit, à mesure qu'elle examinait la situation et les possibilités sous toutes les coutures. Et si... ? Et si il disait vrai ? Et si il y avait la moindre chance qu'il l'aide à comprendre son don ? Et si il parvenait à la débarrasser de ce fardeau dont le destin l'avait affublée à la naissance ? Et si il était possible de trouver un moyen de maîtriser la télékinésie ? La science n'avait-elle pas fait des progrès miraculeux ces derniers temps, grâce aux travaux de Cee Corp ? Et si le jeune homme avait participé lui-même à ces travaux ? Sa main serra l'anse de la tasse à en faire blanchir les jointures. Que faire ? Se perdre en conjectures ne l'avancerait à rien. Au point où elle en était, elle n'avait plus grand chose à perdre. Ses propres recherches piétinaient. Toute sortie en dehors de chez elle signifiait risquer sa vie. Elle en avait l'habitude. Seulement, plus le temps passait, moins elle supportait de vivre dans la réclusion. De déménager souvent. De changer d'identité. Elle n'appelait pas cela vivre. Elle avait du mal à l'admettre, mais elle avait besoin d'aide. La seule chose qui la faisait tenir portait le doux nom d'espérance. Elle s'accrochait à l'espoir insensé d'un changement. Plus que tout, la jeune femme aspirait à mener une vie normale. Elle se munit du bristol posé près de l'appareil, avant d'exercer une pression du pouce sur la tige en titane au sommet du pommophone. L'appareil s'anima aussitôt. Il prit les traits d'un visage avenant, arborant un sourire aimable. Une voix de femme au ton enjoué sortit de la bouche du pommophone :

- Quel numéro souhaitez-vous composer ?

- 381-102-457, énuméra Ysé d'une voix calme.

- Veuillez patienter un instant.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 10, 2023 ⏰

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