Je marche dans la rue, capuche sur la tête pour me protéger du froid de l'hiver. J'passe incognito, une bouteille de « 16 » à la main. J'essaie d'étouffer ma peine dans ce putain de poison.
Dix heures du mat' et déjà habate. En sortant de chez le baveux, ton image me revient. Pingouin, depuis ton enterrement, dix fois que tu viens dans mes putains de cauchemars.
Wallah mon frère, j'ai mal quand je te vois, parce que... parce que t'es pas bien ! T'es pas serein, pourquoi bordel ? Pourquoi quand les autres ils parlent des rêves de leurs morts, c'est des trucs positifs ? Pourquoi quand je te vois, t'as une sale mine wallah, visage noirci par je-ne-sais-quoi mon frère ? Pourquoi tu me regardes avec tes heynesses comme si t'avais envie de chialer toutes les larmes de ton corps ? Pourquoi mon frérot ?
Même la mort n'est pas du répit pour nous, hein mon frérot ? Wesh, mais j'ai jamais demandé à exister moi ! Ni la mort ni la vie comme soulagement ; c'est quand qu'on aura notre part de bonheur, hein mon frérot ?
Tu sais, mes histoires avec le bled ne m'ont pas permis de venir à ton enterrement. Un coup de plus dans mon moral : ne pas être là lorsque de terre ton corps fut recouvert. Tourmenté par mon propre esprit, y a plus personne pour évacuer, plus personne pour m'entendre te pleurer. Au final, ta mort fait partie de ces choses qui ne se disent pas, de ces choses tellement hard que tu les vis seul, en silence.
À l'aéroport, de loin, j'ai guetté ta famille. Mais je n'assumais pas, je ne pouvais pas les accompagner jusqu'à la porte d'embarquement sans monter avec eux dans l'avion. Je n'assumais pas le mutisme dans lequel ta sœur était tombée après avoir appris ta disparition. Je n'assumais pas les larmes de ta mère, les cris des voisines, le regard faussement affecté des hypocrites, la peine de tous, ma propre douleur. Je n'assumais rien de ta mort.
J'suis resté là, planqué dans un café de l'aéroport, à les regarder embarquer au loin. Un jour, j'y arriverai.
Tu sais, les frères du quartier m'esquivent gravement. Mes paroles empestent la mort, au sens premier du terme. Je n'ai pas d'autre sujet en tête. Mes mots, ce sont des putains de coups de shlasse dans leur moral wallah. Ils ne font plus le poids face à la lourdeur de mes larmes. Mes peines sont comme des armes qui viennent braquer leur quotidien... C'est des lâches, ils n'arrivent pas à tenir face à la réalité de nos existences ; on est né dans la merde, on mourra dans la merde et à notre mort, on sera tous dans la merde.
Mon pote s'est fait tuer il y a un mois de ça et les pleurs sont déjà passés ; les gens ont repris le cours normal de leur vie, comme si Pingouin n'avait jamais existé. Alors, c'était donc ça la vie ? T'es là, tu fais de ton mieux pour exister, puis un fils de chien vient t'abattre et en un mois, c'est comme si t'avais jamais vécu ? Ils m'abandonnent tous au fur et à mesure : mon père, qui s'est tiré avec une plus jeune ; ma meuf, qui s'est tirée avec un friqué, un qui la comprenait mieux. Tout le contraire du pouilleux que j'étais : rien dans le cœur mais, surtout, rien dans les poches. Et puis maintenant c'est mon pote. Mon pote qui s'est fait buter comme un malheureux... Il me reste quoi à moi ? Mon frérot, je fais quoi moi ici, hei
J'continue quand même d'être là. Y a plus de lumière en moi, juste un putain de trou de noir qui aspire tout sur son passage. Même la peine, je finirai par plus la ressentir. Je serai comme ces mortsvivants que l'on a fréquentés toutes ces années. À l'époque, on était jeune et on avait encore de l'espoir. Et ouais, on se pensait mieux qu'eux parce qu'on croyait fermement que notre roue à nous, elle n'avait pas encore tourné. Mais ces bâtards, ils nous avaient pas dit que la roue, on s'l'était faite chourave à la naissance. Je me cale à un arrêt de bus près de chez le baveux, en direction du Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation – le SPIP –, quand quelqu'un me sort de mes pensées.
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Dans la peau d'un thug
RomanceYoussef Bekri, jeune homme de vingt-cinq ans surnommé « You », est un banlieusard tourmenté. Il voit sa vie se transformer un peu plus après le meurtre brutal de son meilleur ami. Anéanti, il se replie sur lui-même et ne croit plus en un avenir heur...