Prologue

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Aussi loin qu'ait porté son regard, il ne vit que mort, désolation et destruction. Dans ce charnier incompréhensible se mêlaient les incendies, une fumée âcre et l'odeur amère du sang brûlé.

Chaque parcelle de son corps transpirait pour se protéger du tumulte environnant ; à la moindre inspiration, les flammes chargeaient ses poumons de cendres brûlantes, rendant l'expiration affreusement douloureuse. Jamais il n'avait eu si chaud ni senti avec tant d'intensité sa peau qu'au contact de cette atmosphère suffocante. Un bref instant lui avait suffi pour le comprendre, son enveloppe rejoindrait sans tarder les poussières tourbillonnant autour de lui dans une valse mortuaire des plus originales.

En pénétrant dans la plaine, il avait aperçu au loin ces flammes, occupées à dévorer les lieux, rugissantes, tel un improbable monstre, identiques à toutes les autres et très différentes à la fois. Depuis leur siège, elles semblaient vouloir le charmer et n'hésitaient pas à lui adresser quelques signes. Dans un bel ensemble, elles se mirent à virevolter devant lui, lentement, majestueusement, dignes des plus splendides créations artistiques. Hélas ! en cet instant, elles visaient une destruction méthodique et sans relâche.

Il se sentait étrangement bien face à elles. Un dialogue silencieux s'établit entre deux êtres de natures opposées, et intimement liés à la fois. Elles essayaient de le rassurer et de l'entraîner dans leur ballet incessant.

La douleur n'avait aucune importance, dissipée par leur pouvoir hypnotique, et bien que sa respiration fût haletante et difficile, ses yeux le troublaient au point de lui laisser entrevoir quelques merveilleuses créatures oniriques drapées dans le manteau des flammes, des braises et des vapeurs éthérées. N'avait-il jamais observé de telles beautés ? En tout cas, il ne s'en souvenait pas, et peut-être ne le voulait-il pas.

Au loin, une cacophonie métallique et insistante tentait de le sortir de sa torpeur, le contraignant à produire de considérables efforts pour l'oublier.

Il souhaitait rester là, immobile et imperturbable, jusqu'à la fin des temps, profitant à tout jamais des délicieuses visions offertes par ses nouvelles compagnes. Au cœur de cette tempête pulsait un cœur beau et pur qui ne devait s'arrêter sous aucun prétexte. S'en détourner aurait pu le faire cesser de battre. Pire, le faire disparaître.

Les promesses de béatitude, murmurées par le ronronnement des flammes, le séduisaient et il ne se souciait guère de revenir un jour à la conscience, s'il pouvait vivre ainsi, le regard plongé dans le centre de cette indescriptible splendeur, pour l'éternité. Il en comprenait le sens et le but sans être pourtant capable de les nommer. L'essence même de ce processus ne lui était pas étrangère, et il aurait pu jurer l'avoir ressenti depuis toujours.

Il sentait la progression des flammes sur son corps, le dévorant, l'arrachant lentement à la vie telle qu'il l'avait connue. Mais qu'importe ? Il s'y abandonnait totalement, oubliant sans effort la douleur, et jusqu'à ce froid intense né dans ses tripes à l'approche de la mort. Si son âme avait pu demeurer éternellement dans cet état d'oubli, pourquoi s'en serait-il privé ? Quelle raison impérieuse pouvait l'empêcher d'atteindre enfin le repos et l'apaisement de l'esprit ? Pouvoir contempler indéfiniment cette incroyable création de la nature valait bien tous les sacrifices.

Le concert lointain de métaux s'entrechoquant inlassablement continuait à le perturber. Il espérait s'y soustraire, pour ne pas sortir de ce qui devait être un rêve éveillé.

Avait-il vraiment vécu ? Sa vie n'appartenait-elle pas à cet endroit, au cœur des flammes, et ses vingt dernières années n'étaient-elles pas un songe ?

Les doutes ne faisaient que le traverser, ne s'y attardant pas, chassés par une volonté inébranlable ne se détourner sous aucun prétexte de son salut.

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