Chapitre 2

1 0 0
                                    

Le soleil d'avril tentait une percée timide, en ce début de journée. Le printemps s'installait progressivement, et la nature reprenait ses droits, après un long sommeil au cours duquel la neige, la pluie et le froid s'étaient disputé le privilège de rendre la vie morne et insipide. L'hiver mourait lentement, mais n'abandonnait pas pour autant la partie. Les gelées matinales étaient fréquentes, et si le soleil ne souffrait plus de l'ombre des nuages, il lui faudrait du temps avant de réchauffer l'air, si longtemps tenu à l'écart de ses rayons.

Après une courte nuit, Andy se félicita de n'avoir pas cédé à la tentation et appréciait sa veste comme une bénédiction. De l'intérieur de son appartement, il avait jugé inutile de s'encombrer d'un vêtement chaud. La raison le rappela à l'ordre rapidement, car il savait que le matin, en ce début de saison, ses bras ne supportaient pas la morsure de la brise. Il devinait déjà, à l'allure toute de saphir du ciel, que plus tard, il pourrait se démettre de son vêtement. Pour l'heure, la rosée cristalline s'accrochait encore aux roues des voitures.

Comme à son habitude, le jeune Empathe déambula dans son quartier avec une certaine sérénité. Il aimait ces rues entretenues, les visages familiers qu'il croisait, animés par la bienveillance. Une chaleur bien rare, à Paris, désormais. Quelques pâtés de maisons plus loin, le bitume n'avait pas la même couleur et les bâtiments, tombés en désuétudes, pleuraient sur leurs blessures. Les habitants en étaient d'autant plus moroses qu'ils se méfiaient de tout et de tout le monde. Une odeur de violence flottait dans l'air, et diffusait dans les esprits les sentiments les moins avenants. Une épreuve de force pour le jeune homme, qui éprouvait des difficultés à se fondre dans cet univers, incapable d'écouter proprement la foule.

Il avait maitrisé ce don depuis bien longtemps, pourtant, et relégué le murmure des émotions au second plan, sinon au troisième, tant ils s'étaient étouffés dans leur propre brouhaha. Mais cette maitrise ne dépendait pas seulement de lui, hélas ! Dans des circonstances parfaitement normales, il parvenait à en faire abstraction. En revanche, au cœur des masses, lorsqu'il se laissait aller à boire un verre ou deux de trop, ou que la fatigue le poussait au-delà de ses limites, un excès de contact humain se transformait en torture.

Son sac sur les épaules, Andy attendit le bus avec cette sempiternelle appréhension agrippée aux tripes, angoissé à l'idée d'un éventuel débordement. Ce n'était pas rare, dans un monde où les populations se trouvaient dans un état constant de pression et de mécontentement. Pour éviter d'y penser, il attrapa un journal sur un banc, et s'intéressa aux nouvelles — s'il s'agissait réellement de cela.

La une évoquait une attaque de bêtes sauvages en plein cœur de New York. Deux animaux se seraient introduits dans la ville, et auraient saccagé un quartier tout entier en l'espace de quelques minutes avant de fuir vers les campagnes environnantes. Les enquêteurs affirmaient qu'il n'y avait plus aucun danger et quelques témoignages rapportaient les apparences étranges des deux bêtes.

Andy sourit malgré lui, à la lecture de ces commentaires peu constructifs. Depuis un peu plus de cent ans, l'humanité vivait en retrait de la nature, cloitrée dans d'immenses villes, réputées étanches à toute intrusion sauvage. Comment ces témoins, en dépit de leur bonne foi, pouvaient-ils certifier avoir trouvé ces animaux étranges, alors qu'ils n'en avaient sans doute jamais vu un seul de leur vie ?

Les autres pages du journal relataient diverses actualités inutiles, les futures mesures de développement de certaines cités encore inachevées depuis l'unification de la Nation. Iberia serait bientôt dotée de plus de logement à l'usage des habitants, Moscou serait affublée d'un système horaire différent, pour aider les travailleurs à mieux supporter l'hiver et l'île de Madagascar évacuée définitivement vers Victoria et Mozic. Le discours officiel ne changeait pas d'un iota. Préserver l'environnement demeurait la principale motivation du gouvernement. Le Ministère de l'Économie espérait parvenir à rétablir des centaines d'écosystèmes menacés, par le contrôle des zones d'habitations. Jamais on n'évoquait une gestion plus évidente de la population, tout simplement.

RenaissanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant