Tic - 1 : 𝘙𝘦𝘯𝘵𝘳𝘦́𝘦.

144 18 21
                                    

Vivre à Panahon, c’est comme marcher sur des braises dont le feu peut, à tout moment, consumer toute illusion de sécurité. Depuis ma venue au monde, les nuages sombres de l’incertitude planent au-dessus de moi, obscurcissant chaque tentative de comprendre les mystères qui enveloppent ma vie. Les récits des anciens, les murmures dans les rues étroites, les témoignages glaçants relayés par mon propre père, tout semble tisser une toile d’ombre autour de ma ville natale. Et puis voilà, le jour que je redoutais est arrivé. Le temps a filé et les vacances touchent à leurs fin ; la rentrée scolaire se profile déjà à l’horizon. C’était inéluctable, mais j’aurais préféré que ce ne soit pas dès demain. Je commençais à peine à me remettre du stress engendré par mon année de première, et voilà que, inévitablement, l’histoire se répète.

  Alors que je m’accroche à ces dernières heures de répis, la porte de ma chambre s'ouvre subitement, dévoilant mon père sirotant son habituel thé noir.
Face à son expression empreinte d’une profonde déception, je me prépare mentalement à affronter d'inévitables reproches.

  Un carnet repose sur ma table de chevet, je le saisis et me mets à griffonner des phrases sans aucun sens, espérant fuir une situation qui n’est pas encore arrivée.

  — Tu ne penses pas que tu devrais descendre et rester avec tes sœurs ?

  Je souffle et manipule plus frénétiquement mon crayon, jusqu'à ce que la mine cède sous la pression. Privé de mon ultime refuge, je relève lentement la tête dans sa direction, confronté à la réalité que je tentais vainement de repousser.

  — Elles n'ont pas besoin de moi, elles me rabaissent constamment. Et tu fais semblant de ne rien voir, comme d'habitude.

  — Justement, peut-être que tu devrais sortir un peu de ta grotte et essayer de mieux t'entendre avec elles.

  C'est justement parce qu'elles ne me respectent pas que je m'enferme dans ma « grotte », mais inutile de lui préciser ce qu'il sait déjà.

  — Excuse-moi, papa, mais j'ai besoin d'être seule.

   Un soupir chargé d'irritation s'échappe de ses lèvres, il me lance que je ne fais aucun effort, puis s’en va en claquant la porte. Je l'aime, mais parfois, il m'énerve. Demain, c'est ma rentrée de terminal et j'en ai la boule au ventre depuis une semaine. Je préfère encore rester chez moi et entendre mon père bricoler ses montres et ses horloges à longueur de journée.

  En regardant par la fenêtre, je constate que le soleil se couche déjà ; le moment fatidique approche à grands pas. L’estomac toujours noué, je décide finalement de quitter ma chambre pour essayer de penser à autre chose, mais dès que mes pas franchissent le seuil de la porte, je suis assailli par le cliquetis incessant des horloges qui jalonnent le couloir. Avec ce bruit, impossible d'inviter qui que ce soit chez moi. Mon père n'est pas simplement horloger, c'est un véritable passionné. La maison regorge d’horloges, de montres, de sabliers et de tout ce qui est lié, de près ou de loin, au temps. Quant à son atelier, difficile d'en parler puisque je ne l'ai jamais vue, mais les sons terribles de mécanismes en marche qui en sortent laissent libre cours à mon imagination. Il n'a pas vraiment d'amis à inviter de toute façon, et moi non plus d'ailleurs. Peut-être à cause de cette même obsession qui nous isole. C’est sans doute pour cela que mon prénom suscite tant de curiosité, « Minuit », et un nom choisi par un homme qui voit dans le décompte des heures, une représentation parfaite de la vie et de ses mystères. Un homme qui, lors de ma naissance, a attendu l’exact moment où les aiguilles signalait le commencement d’un nouveau jour. Ainsi, hormis mon père, je me demande parfois qui aurait eu l’idée d’appeler son enfant par un moment aussi symbolique et, pourtant, si ordinaire dans le cycle du temps. Heureusement, mes sœurs jumelles ont été épargnées par cette fantaisie paternelle. Leurs prénoms, empreints de normalité, leur offrent une douce invisibilité au sein de notre société. Surtout Aurore, dont le prénom évoque le renouveau et la lumière, et semble incarner l'aube elle-même. Quant à Rosée, son nom, moins courant, mais tout aussi évocateur, renferme des images de douceur et de pureté matinale.

𝘜𝘯𝘦 𝘔𝘪𝘯𝘶𝘵𝘦 𝘢𝘷𝘢𝘯𝘵 𝘔𝘪𝘯𝘶𝘪𝘵 - TOME 1 - [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant