Année 2 - 8 mai

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1839 W 6th Street 

Brooklyn, New York

État de New York, États-Unis

Ma tendre patate,

Sept cent soixante-dix-sept jours sont passés. Trois cent soixante-six depuis ma dernière lettre. Depuis, j'ai acheté un nouvel ami. Je crois que tu l'aimerais bien. Il a la dent sucrée, tout comme toi. Il vole mes tablettes de chocolat au caramel (oui j'ai oublié que le chocolat noir n'était pas sincèrement une source de plaisir gustatif), mes caleçons rayés et même Monseigneur Gros-Nounours, le lapin de Thomas. Oui, tu l'as deviné, j'ai acheté un petit chien. Bon, je te l'avoue, Thomas a un tantinet peur de lui. Mais, c'est tout simplement parce que Cécile est plus grosse que lui.

Aujourd'hui, j'ai recommencé à travailler, en ligne. Pour une nouvelle compagnie, à New York. Je l'avoue, j'ai un peu honte d'avouer que j'ai été incapable de recommencer avant. Mamie me répète sans cesse depuis sept cent soixante-dix-sept jours que le travail change les idées. Peut-être exagéré-je un peu avec les sept cent soixante-dix-sept jours, mais depuis un bon nombre de jours, et de mois. Alors, j'ai choisi de recommencer à écouter mamie. Je me suis habillé pour le travail, non, non, aucun vêtement de sport, bien rasé, coiffé, et même parfumé... pour travailler sur le nouveau plan d'un immeuble commercial du centre-ville. C'était de notre demeure, à mon petit bureau, mais c'est un bon début, non?

Lorsque tu es partie, la vérité c'est que j'ai tout simplement perdu l'ensemble de mes repères. J'ai oublié que je n'étais pas simplement un amoureux transi. J'ai oublié que j'étais un papa avec un enfant de un an sur les bras. J'ai oublié que j'étais un amoureux transi qui en perdant sa douce épouse avait gagné le gros lot monétaire. Huit cent mille dollars envoyés par l'assurance-vie de sa douce. Assurance-vie qui avait coûté à une infirmière et un psychiatre, deux bras, quatre jambes et trois vies pour obtenir. J'ai oublié que je n'étais pas qu'un amoureux transi, j'avais également une âme, un cœur, une vie et des désirs. Ah oui, et également un enfant. L'ai-je dit?

Alors, j'ai sombré. J'ai pleuré. J'ai détruit. J'ai échoué, seul dans ma trop grosse demeure. Sans amis, sans famille à moins d'une frontière près. Avec pour amis que des sordides pots de fleurs multicolores. Avec pour seul confident un bébé de deux ans... et un chien couleur soleil. Ceux qui disent que la solitude rend fou n'ont pas tort. Alors que pendant dix ans j'ai construit ma vie pour suivre la tienne, mon amour, pour suivre le seul et unique but d'être le meilleur époux pour toi, la femme qui m'a conquis. Perde peux parfois être déroutant.

Thomas a commencé à apprendre le piano récemment, et la bicyclette également. Il a démontré un intérêt pour le ballet aussi, mais je ne me suis pas encore résigné à l'encourager dans cette voie.

Parfois, je me demande ce que serait notre vie si tu étais toujours là. Aurions nous été les mêmes? Toujours à cette même table de cuisine, dans notre minuscule appartement de Montréal à contempler les possibilités d'être heureux. Étions nous heureux, patate? L'étions nous? J'y ai toujours cru que nous l'étions. À lire des romans, sirotant des cafés glacés épicés. Ou à peindre des portraits de romanciers oubliés nus comme des hippies de vieilles années. À faire l'amour comme des adolescents avec un enfant dans le petit lit, la chambre jusqu'à côté. N'était ce pas assez pour être heureux, être amoureux.

Comme je l'ai dit précédemment, j'ai recommencé à travailler. De la maison toutefois, je dois bien avouer en raison de cette étrange pandémie. Je ne veux pas trop t'en parler, Dieu ciel, mon amour, tu n'en croirais pas tes yeux. La vie est paralysée. Le temps est suspendu. Les fleurs poussent, le soleil fane. Les oiseaux chantent. Mais les gens ne sortent plus. Thomas et moi ne sortont plus que pour promener Cécile. C'est difficile de t'imaginer vivre ce temps. Toutefois, je suppose que je ne t'aurais pas gardé à la maison bien longtemps, bien sagement. Ai-je tort?

Grâce à cette étrange maladie, j'ai réalisé comment la société me manquait. Pour Thomas, c'était d'autant plus difficile. Il a appris le piano, pas par choix, mais parce que la télévision l'ennui. C'est difficile à croire, je te l'avoue. Il aimerait voir mamie, il aimerait voir tatie. Il aimerait voir l'étrange fille aux cheveux de blé et aux yeux de ciel qui sourit avec son papa sur l'ensemble des jolies photos sur les murs de la maison. Il n'aime plus Monseigneur Gros-Nounours, ni même Cécile. Il veut Flash et Daisy, les oursons en peluche de Lucas, le garçon du même âge qui vit à la maison d'à côté.

Et moi, je te veux toi. Cette jolie blonde aux cheveux de blés qui sept cent soixante-dix-sept jours plus tôt était mon épouse. Je veux retrouver mon bateau échoué afin de reprendre la mer. Je veux troquer ma grande maison aux vases parsemés des plus belles fleurs pour mon appartement trop petit d'étudiant. Je veux retrouver ma famille, mes amis, mon mémoire. Je veux tout simplement être heureux.

Est-ce trop demandé mon amour? Être heureux.




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