Le tableau

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Certains cherchent le bonheur dans un ailleurs, hypothétiquement plus beau. D'autres pensent pouvoir y accéder par le pouvoir ou l'argent, voir les deux. Mon bonheur à moi, c'est de courir jusqu'à la mer pour aller voir le soleil levant.

Autrefois, je me levais à 5h du matin pour aller à l'usine. Dès années après avoir pris la retraite, j'avais gardé le même rythme. Au petit matin, j'enfilais mes baskets, prenais une serviette que je mettais autour de mon cou, et je sortais courir jusqu'à la plage. J'assistais à l'apparition des premières lueurs blanches de l'aube. Puis, je les voyais virer au rouge orangé, et se redresser à la verticale, comme des ficelles cherchant à extraire l'astre, de sa nuit sans repos. Je ne mettais pas de casque sur les oreilles comme les autres coureurs. Non, je préférais écouter les sons de la ville qui s'éveille doucement. D'abord le bruit de mes pas sur l'asphalte, en dévalant la rue Des Ivrognes. Plus loin, juste avant la descente appelée Rampe des Arabes, la boulangère tente une nouvelle fois de réveiller sa voiture pour partir travailler. Elle va noyer son moteur, à insister comme ça, sur le démarreur, qui semble enroué. Sourire aux lèvres, je continuais ma course. Je pouvais reconnaitre le grincement des volets qui s'ouvraient, ou celui d'un vélo dont la chaine n'a pas été graissée depuis longtemps. J'appréciais aussi, le long de la promenade Maréchal Leclerc, le silence, pour écouter le clapotis des vagues venant heurter les rochers. Je repense à la chanson de Simon et Garfunkel, Sound of Silence. Certes, il y a des silences dont les bruits sont affligeants, d'autres inquiétants, mais il y a ceux aussi qui vous font du bien. En m'approchant de la mer, la vue de l'horizon me procurait un sentiment étrange, associant puissance et apaisement. Je poursuivais ma course sur la plage, où je prenais plaisir à gonfler mes poumons d'air iodé et frais.

Un jour, mon escapade matinale a duré bien plus longtemps que d'habitude. Je n'ai pas compris pourquoi, mais je me suis trompé de chemin pour rentrer. Un autre, je suis revenu transi de froid. J'étais parti en tee-shirt alors que nous allions fêter Noel. Ma femme, Ginette, a décrété que je ne sortirai plus seul. Elle cachait donc, les clés de la porte d'entrée. Elle a fait l'effort quelques semaines de se lever pour m'accompagner, mais elle avait du mal à me suivre, n'étant ni sportive ni matinale. Je n'allais plus jamais au même endroit, je ne retrouvais plus le chemin qui menait à la mer. Nous nous sommes souvent disputés en route, car j'avais ce besoin vital de refaire le chemin habituel, mais elle ne le connaissait pas. Fatiguée de tourner en rond, elle agrippait mon poignet et, tirait de toutes ses forces en direction de la maison, mais moi, j'insistais pour poursuivre ma course.

Alors que nous descendions au grand marché, comme tous les mercredi, Ginette m'a montré un étal, sur lequel étaient exposés plusieurs tableaux représentant la mer. Mon cœur s'est emballé de joie à la vue du plus grand. Je l'ai choisi parce qu'il représentait tout ce que j'aimais. Une mer sans remous couleur azur, surmontée d'un bleu céleste et transpercé d'un cercle rouge orange. On devinait la présence de quelques mouettes juste en avant du soleil levant. Nous l'avions installé dans la chambre, et au matin quand je me réveillais je pouvais rester là des heures à le regarder. Ainsi, il me semblait entendre le ricanement des mouettes.

Un soir, deux hommes en costume et képi sur la tête, m'ont demandé de les suivre. J'ai eu peur, j'ai frappé. Ma femme avait oublié les clés sur la porte d'entrée. Pendant qu'elle dormait, je me suis levé dans le noir, j'ai chaussé mes baskets, mis une serviette autour du cou, et je suis sorti en pleine nuit. Elle a dû venir me chercher au commissariat. Heureusement qu'elle avait inscrit son numéro de téléphone sur mes tennis. Les gendarmes l'ont remarqué quand ils m'ont retiré mes lacets. Je ne me souvenais même plus de mon nom.

Aujourd'hui, je me retrouve dans un endroit que je ne connais pas, qui s'appelle, parait-il, Cantou. Ginette me répète, en pleurant, que c'est mon nouveau chez-moi, et que, je serai bien ici. Promis, elle viendra me voir tous les jours. Si elle le pensait vraiment elle ne se mettrait pas dans tous ses états. Je ne comprends pas où je suis, ni ce qui se passe, et ça m'inquiète encore plus de voir les yeux humides de ma femme.

LE SABLIEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant