Coumba sera encore en retard aujourd'hui. Samba, son fils, ne veut toujours pas se réveiller. Tous les matins, c'est avec tristesse et culpabilité, qu'elle tente de l'extirper de ses doux rêves. Puis selon le même rituel, elle essaie en vain, de lui faire avaler quelque chose de sain. Mais elle finit toujours par lui mettre dans la poche, un de ces gouters trop sucrés. Elle voudrait l'autonomiser, le laisser se préparer seul, mais se résout à le faire elle-même. Elle n'a plus le temps de patienter. En effet il fait semblant de ne pas réussir à enfiler son tee-shirt ou à lacer ses chaussures. Il ne veut pas grandir, il préfère que maman s'occupe de lui. Si elle manque le bus de 7h30 elle sera en retard et une fois de plus, après avoir brusquer son petit, elle devra brusquer les personnes âgées dont elle s'occupe.
Elle dépose Samba encore mal réveillé, à la garderie périscolaire. Il tend les bras, mais les câlins, ce sera pour une autre fois, elle doit partir travailler. Un gros bisou sur le front et elle court vite, car elle aperçoit au loin le bus qui arrive déjà.
Elle doit se rendre tôt chez Paulette. Elle l'aide à se lever puis l'accompagne aux WC. Ensuite, comme elle n'a qu'une demi-heure à lui consacrer, elle devra choisir entre lui faire un brin de toilette et la faire manger. Paulette a beaucoup maigri, mais quand elle la trouve trempée, elle et ses draps, elle n'a pas le choix, elle ne préparera pas de petit déjeuner. Elle lui laissera à portée de main des biscuits, quand il y en a. Elle mangera mieux à midi.
Devant l'immeuble, elle sonne à l'interphone, pour s'annoncer. Elle sait que personne ne viendra ouvrir. Paulette marche de moins en moins bien depuis quelques mois. Coumba a bien alerté les enfants. Christian, le fils de Paulette, vient tous les mois. Il fait le plein de provisions, s'occupe du courrier et de tout ce qui est administratif. Le mois dernier il avait pris soin de prendre rendez-vous avec le médecin de sa mère, pour renouveler l'ordonnance. Le médecin ne se déplace pas à domicile. Il a trop de monde au cabinet et Paulette ne sort plus de chez elle. Même si elle a la chance d'habiter au rez-de-chaussée de l'immeuble, il y a quand même dix marches à enjamber avant de se retrouver sur le parking. Christian a expliqué au médecin que sa mère se déplace de plus en plus difficilement. De plus, elle a du mal à se relever de son fauteuil trop bas pour elle. Elle marche en se tenant aux meubles. Elle ne sort plus sur le palier pour récupérer son courrier à la boite aux lettres. Elle n'arrive même plus aux toilettes à temps. Elle est essoufflée et mange moins bien. Il parait que c'est normal à 95 ans et qu'elle a tous les traitements nécessaires. Le médecin écoute d'une oreille distraite. Il pense déjà aux patients suivants et à la salle d'attente qui est pleine. Il refait l'ordonnance en augmentant un peu le traitement de l'insuffisance cardiaque pour soulager l'essoufflement. Le docteur est absorbé par son logiciel qui, une fois de plus tourne au ralenti. Il n'a pas réussi à joindre la hotline de son réseau internet. Il s'énerve et n'entend plus ce que dit Christian : Paulette ne prend pas toujours tous les traitements parce qu'elle a du mal à les avaler. Elle dit que les gros comprimés collent au fond de la gorge.
Coumba cherche dans son sac, le digicode de l'immeuble où vit Paulette. Elle est déjà en sueur, il fait chaud dès le matin, en ce début d'été. Plus elle s'énerve ne le trouvant pas, plus elle transpire. Elle finit par se rendre à l'évidence. Elle l'a encore oublié. Il ne lui reste plus qu'à prier pour que quelqu'un entre ou sorte de l'immeuble. La dernière fois qu'elle a sonné chez un voisin en expliquant la situation, il l'a traitée de tous les noms d'oiseaux.Une dame descend jeter sa poubelle sans sortir de l'immeuble. Coumba sait que cette dame ne lui ouvrira pas. Ici, sa couleur de peau est un rempart contre la confiance.
Son stress continue à gagner du terrain. Quitte à ne pas prendre de pause déjeuner, elle n'abandonnera pas Paulette, comme le font certaines de ses collègues. Devant la porte vitrée de l'immeuble, alternativement, elle scrute l'intérieur puis se retourne, balayant du regard la cour de l'immeuble. Elle suit des yeux, le trajet d'un véhicule qui vient d'entrer dans la cité. L'espoir est dans la rue, le S.U.V entre dans le parking et se gare. Il en sort un jeune couple, qui semble se disputer. Elle attend qu'ils se dirigent vers elle pour ouvrir, mais ils restent devant la voiture, et se lancent, avec force, des reproches mutuels, comme on se renvoie des balles de tennis. Elle ne comprend pas ce qu'ils se disent, ça lui est égal. Elle supplie intérieurement qu'ils avancent vers elle. Tout à coup l'homme ferme la portière avec violence, Coumba retient son souffle. Elle croise son regard noir, et le voit, malheureusement se diriger vers l'allée d'à côté. Coumba lève les yeux au ciel et laisse échapper un long soupir. Le temps passe, elle n'en aura plus suffisamment pour faire manger Paulette. Malgré ses craintes, elle se décide à sonner chez quelqu'un qu'elle n'a encore jamais dérangé.

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LE SABLIER
Short StoryRecueil de nouvelles. Chacune peut être lue indépendamment de l'autre. Petites histoires relatant les drames que peuvent vivre des parents âgés ou grands parents qu'ils soient chez eux ou en établissement.