Regards empoisonnés

Chapitre 29

Ils s'avancèrent tous les deux, mais Towa s'arrêta et attrapa la main de Mumei qui surpris n'osa pas se retourner. Cette vieille femme acariâtre n'avait jamais montré la moindre marque de tendresse envers lui, jamais elle n'avait effleuré son épiderme. Il referma sa poigne sur la main dépourvue de chair avec délicatesse, et attendit qu'elle s'exprime.

Elle avait la tête baissée, elle tremblait, elle avait peur. Quelque chose en elle ne voulait pas se résoudre, tout n'était qu'un rêve, le contraire ne pouvait pas arriver, alors elle s'accrochait à ce qui était vrai, à ce qui ne pouvait pas la tromper, son petit-fils qui s'était vaillamment battu pendant des années pour tenter de lui rendre un sourire qu'elle avait perdu.

Aujourd'hui, il était sur le point de réussir et il ne lui disait rien, il ne se vantait pas comme à son habitude, il restait de marbre. Elle voulait l'entendre une dernière fois, lui dire au revoir, mais elle ne trouvait pas les mots, elle les avait oubliés le jour où la Scission frappa son clan de naissance.

Il y a de cela des centaines d'années, au temps où le ninjutsu n'existait pas encore, les hommes malaxaient l'énergie pour jouer avec les éléments et s'entraider les uns les autres. Avec les années, chacun put se spécialiser et les clans se formèrent un à un. Après la mort du fils d'Ōtsutsuki Ashura, le village originel perdit sa notoriété, il n'y avait personne d'assez puissant pour reprendre la suite cet exceptionnel meneur qui avait fait honneur à son père.

Les deux enfants qu'il avait eu rêvait de voyage ou bien d'une vie paisible bien loin des considérations politiques. Le village s'était alors scindé en une multitude de clans dont certains existent encore aujourd'hui. Les amoureux des plantes, par exemple, prirent le nom de Senju et allèrent perfectionner leur art botanique dans les forêts afin d'avoir à disposition une flore jamais mourante. Dans ce clan, à travers une figure féminine, on trouvera l'élixir manquant à toute bonne équipe ninja, le médecin.

Le clan Hyūga était une exception, l'annonce de la dissolution du village lui déplaisait. En effet, puisqu'il était un des plus vieux clans avec les Uchiwa, ils ne partageaient pas l'excitation de la nouveauté, ils se distinguaient depuis des années par leur pupille extraordinaire, ils ne voyaient dans cette nouvelle que l'affirmation d'une déchéance de l'homme qui s'éloigne du culte des dieux.

Derrière l'Exode clanique, c'était l'occasion pour certains athées de se séparer de la chape doctrinale des Hyūga qui assénaient des vérités générales, on voulait enfin pouvoir penser par soi-même et construire sa propre opinion pour ne plus dépendre d'une élite intellectuelle.

À cette sombre époque, l'école n'était pas encore très répandue et la plupart des guerriers et des paysans ne savaient ni lire, ni écrire, ils se contentaient de donner leur pleine confiance à des personnes qui avaient eu la chance d'élever socialement. On voulait penser par soi, se détacher des récits mythiques et atteindre une connaissance plus objective du réel. Le clan Hyūga, ce clergé dominant sur toute une partie de la population, perdait peu à peu ses fidèles, les cérémonies perdirent en grandeur, pour ne laisser place qu'à un maigre confettis.

Il fallut alors un jour se résoudre à une évidence, ils ne pouvaient pas ignorer plus longtemps la tendance contemporaine, il fallait migrer ou décéder. D'une nature très croyante, ils ne s'étaient pas lancés à l'aveugle dans l'exploration de territoires comme l'avait pu faire tous les autres, ils étaient en attente d'une terre promise par les divinités.

Les Hyūga, orgueilleux, avaient toujours refusé de croire qu'ils pouvaient être comme les autres, il devait y avoir quelque chose de différent pour eux, ils étaient un peuple d'élus par le sang qui coulait dans les leurs veines. On attendit très longtemps l'arrivée d'un messie qui guiderait le peuple vers la bonne voie, mais ne personne ne vint, les années ne faisait que se succéder.